A la gare de Lausanne, le libre service de la Poste crée des remous

INCIVILITÉS • Le point d’accès en libre-service testé à la place de la Gare par la Poste suscite la colère du voisinage et des personnes qui viennent retirer leurs colis. En cause, des groupes d’individus qui s’y installent à même le sol pour dormir, vociférer et jouer aux cartes.

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«Les solutions sont restreintes, car il s’agit d’un local privé» Jean-Philippe Pittet, porte-parole de la police lausannoise

Lors de son inauguration en août 2021, la Poste se félicitait de pouvoir proposer à la place de la Gare le premier point d’accès en libre-service permettant de retirer ses colis 24/24h, d’effectuer des versements via un automate ou encore d’effectuer des photocopies. Un lieu censé correspondre aux nouvelles habitudes de consommation de la clientèle lausannoise.

Seulement voilà, au fil des mois ce local s’est peu à peu transformé en abri de fortune pour le plus grand désespoir de Manuel*, un voisin excédé: «J’habite à quelques mètres de cette filiale en libre-service et ma vie est devenue un enfer. J’ai peur de rentrer chez moi le soir quand je vois la faune qui fréquente cet endroit, alors qu’elle n’a rien à y faire. Des groupes d’hommes dorment à même le sol, hurlent, mangent, boivent et jouent aux cartes. J’ai interpellé un policier municipal pour lui faire part de cette situation, il m’a répondu que la police n’intervient pas dans un local privé si le propriétaire n’en fait pas la demande. Quant à la Poste, elle m’a dit de prendre contact avec son service client à Berne. En gros, tout le monde s’en moque!»

Sifflements et remarques insistantes

Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises sur place et le constat est sans appel: à toute heure de la journée, des individus, quasi-exclusivement des hommes, ont pris leur quartier dans ce local. Ils y rechargent leur téléphone portable et n’hésitent pas, suivant leur humeur, à dégrader du matériel.

Une situation qui procure un évident sentiment d’insécurité à ceux qui viennent retirer leurs colis: «Je travaille à Genève et je rentre en début de soirée à Lausanne, je viens donc souvent ici pour y récupérer mes paquets, mais je le fais avec la peur au ventre, témoigne Nathalie*, une jeune quadragénaire. J’essaie d’ignorer les sifflements et autres remarques insistantes des hommes présents, mais je ne suis quand même pas tranquille. Pourtant il y a une caméra installée au plafond, je ne comprends pas pourquoi la Poste ne prend pas de mesures.»

Face aux nombreuses incivilités constatées sur place, la Poste a pourtant bel et bien pris des mesures. Depuis le 20 mars dernier, le point d’accès est fermé de 22h à 6h et un agent de sécurité a été recruté pour s’assurer que le local est vide lors de la fermeture.

Tiziana Boebner, responsable communication du géant jaune, précise: «Nous mettons tout en œuvre afin de trouver une solution qui permettra aux clients d’effectuer leurs opérations postales en toute sécurité. L’espace en libre-service de Lausanne est maintenu jusqu’à nouvel avis. Il a cependant été décidé que pour l’instant ce format d’exploitation ne sera pas étendu sur d’autres sites.» Et d’ajouter: «La Poste a contacté les autorités communales de la Ville de Lausanne ainsi que la structure d’accueil de nuit La Marmotte pour les informer de la situation.»

Marginalisés

Une prise de contact confirmée par Jean-Philippe Pittet, porte-parole de la police lausannoise: «Une prise de contact a eu lieu lors du premier trimestre 2022. Les solutions sont restreintes, car il s’agit d’un local privé, qui se veut accessible au public et sans personnel sur place. En journée, la police effectue des passages à cet endroit lors des patrouilles afin de contrôler les lieux et inviter les éventuels occupants à partir.» Quant au profil des personnes qui squattent l’endroit, la police lausannoise précise qu’il s’agit de personnes marginalisées, généralement toxicomanes ou mendiants.

*prénom fictif, identité connue de la rédaction

Un service universel de trois piliers

Publié par le Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB), le livre blanc sur l’avenir du service universel postal décortique les trois piliers sur lesquels le géant jaune entend s’appuyer dans le futur. Le premier est celui d’une «logistique durable et fiable», il doit permettre à toutes les personnes dans toutes les régions de Suisse d’avoir accès au marché des colis, qui devrait sensiblement croître d’ici à 2030, et pouvoir bénéficier de prix raisonnables ainsi que d’un niveau de qualité élevé. Le deuxième concerne la communication digitale. La Poste souhaite, en effet, mettre à disposition des solutions numériques sûres pour les besoins de la société et dans l’intérêt public, telles que le dossier électronique du patient et le vote électronique. Enfin, troisième et dernier pilier, celui consacré à un accès local et pratique aux services. Ainsi, le géant jaune entend conserver la proximité et la bonne accessibilité qu’elle offre actuellement par le biais de son réseau. Dans le même temps, elle précise que pour y parvenir, elle doit avoir la possibilité de numériser, d’automatiser et de moderniser le réseau postal.

L’humain n’a toujours pas dit son dernier mot, l'éditorial de Fabio Bonavita

Sur le papier, soyons honnêtes, l’idée était plutôt séduisante: proposer aux pendulaires et plus généralement aux urbains pressés (ou qui croient l’être) un point d’accès postal en libre-service sans personnel. Situé en face de la gare de Lausanne, ce local ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, devait permettre aux clients d’accéder à une sélection de services dont notamment un Postomat, un My Post 24 (pour l’envoi et la réception de colis) et une photocopieuse.

Le hic, c’est que cet endroit, inauguré en août 2021, s’est très rapidement transformé en squat (lire notre article en page 3) malgré la présence d’une caméra de vidéosurveillance installée au plafond. Depuis deux ans, les incivilités y sont légion: harcèlement des clients, et surtout des clientes, qui viennent retirer leurs colis, mégots de cigarettes et autres bouteilles vides abandonnés à même le sol et autre matériel dégradé. Pour un premier test, c’est un sacré échec pour la Poste qui concède ne pas envisager de reproduire l’expérience ailleurs en Suisse.

Au-delà de ce cas particulier, cela démontre qu’une automatisation à outrance, sans aucune présence humaine, ne fonctionne pas. Outre l’exemple de la Poste, de nombreux supermarchés ont tenté l’expérience en Suisse ou ailleurs en Europe et ils sont quasiment tous arrivés à la même conclusion: l’humain reste fondamental dans une démarche servicielle. A l’heure où l’intelligence artificielle agite les esprits et que certains Cassandre annoncent la mort de nombreux métiers, cette évidence a quelque chose de particulièrement rassurant.