Des scientifiques de l'Unil cherchent à percer notre croûte terrestre

Des spécialistes de l’UNIL co-dirigent des forages scientifiques de près d’un kilomètre de profondeur, qui visent à atteindre et à documenter, pour la première fois, la base de la croûte continentale et la transition vers le manteau terrestre. D’envergure internationale, le projet se déroule en Italie, dans une zone où les roches profondes sont atteignables grâce à un raccourci naturel.

  • Le site du forage. En médaillon, Othmar Müntener et György Hetényi, deux professeurs de l'UNIL qui co-dirigent le projet DIVE. Photos Unil

De quoi se compose l’intérieur de notre planète ? Comment la croûte terrestre s’est-elle formée, et jusqu’à quelle profondeur peut-on trouver de la vie ? Ces questions fondamentales se heurtent depuis des années à des obstacles techniques et financiers. Malgré plusieurs tentatives, l’humain n’est en effet jamais parvenu à explorer de manière continue les roches au-delà de la croûte terrestre pour atteindre la couche suivante : le manteau, situé habituellement à une trentaine de kilomètres de profondeur.

Des scientifiques de la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL coordonnent un projet international qui pourrait changer la donne. Baptisé DIVE (pour Drilling the Ivrea-Verbano zonE), ce programme organise des forages scientifiques dans la zone géologique dite d’Ivrea-Verbano (Piémont, Italie) dans les Alpes, dont le caractère unique devrait permettre, en première mondiale, de percer la croûte et d’atteindre le manteau terrestre supérieur.

Une région aux caractéristiques pratiquement uniques au monde

« Depuis environ 35 millions d’années, les plaques continentales africaine (Adria) et européenne se rapprochent l’une de l’autre. Au moment de leur collision dans ce secteur, l’Adria est passée sur le dessus, entraînant la formation des Alpes », explique György Hetényi, professeur à l’UNIL et partie prenante du projet. « Ce phénomène, accompagné d’effets d’érosion, a fait remonter des roches situées ordinairement à des dizaines de kilomètres de profondeur ». Ainsi, les Alpes forment, sur une cinquantaine de kilomètre en surface, un « raccourci » vers le manteau terrestre, qui se trouve alors pratiquement à portée de main. Autre particularité de cette région : la croûte continentale est exceptionnellement bien conservée et intacte, sans fragmentation majeure.

Dans le village de Megolo di Mezzo, un forage (le deuxième du projet DIVE) a donc été initié en novembre 2023, et se terminera en avril 2024. D’une profondeur actuelle de 870 mètres, le trou devrait atteindre à terme près d’un kilomètre, et permettre de documenter le début de la transition entre la croûte continentale et le manteau. Sur le terrain, les spécialistes analysent déjà les carottes qui sont extraites au fur et à mesure par les foreurs, à l’aide de deux containers scientifiques, l’un dédié aux études géologiques, et l’autre à l’aspect biologie et analyse des gaz (tels que l’hydrogène ou d’autres gaz rares). Une équipe de microbiologistes cherche quant à elle à savoir s’il existe des organismes capables de survivre dans des conditions de pression extrême, en profondeur.

Par la suite, les précieuses carottes seront transférées dans les différentes universités, selon leur domaine d’expertise. « A l’Université de Lausanne, nous étudions en particulier la chimie et la composition isotopique des roches, ainsi que leurs propriétés thermiques et sismiques », précise Othmar Müntener, professeur à l’UNIL, initiateur et co-responsable du projet. « Ces analyses nous donneront des informations inédites sur la formation et la composition de la croûte terrestre. » 

Encore beaucoup de travail

Le gros du travail reste encore à faire, mais les premiers résultats, issus notamment du premier forage – qui a atteint 578 m de profondeur – , commencent à tomber, et ils présentent déjà quelques surprises.  « Il y a plus de souffre, de carbone, de fractures et surtout une variabilité spatiale surprenante par rapport à ce que l’on s’attendait à trouver dans la croûte inférieure », observe György Hetényi. « Nous découvrons aussi la présence de minéraux tels que le graphite dans des quantités inattendues. »

La prochaine étape consiste à présent à terminer ce deuxième forage et à poursuivre les analyses scientifiques. Un troisième forage est prévu, qui serait cette fois consacré à l’analyse et à la traversée complète de la transition croûte–manteau.