Lausanne va-t-elle perdre son statut de capitale sportive mondiale?

CONCURRENCE • Siège du CIO depuis plus d’un siècle, Lausanne accueille des dizaines de fédérations sportives internationales sur son territoire. Malgré d’indéniables atouts, des fragilités peuvent plomber le leadership de la capitale vaudoise. 

  • Lausanne accueille le siège mondial du Comité international olympique (CIO) depuis 1915, un atout non négligeable. wikimedia

A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit. En mai dernier, la fédération internationale de natation rebaptisée World Aquatics, l’une des plus importantes au monde, confirmait son intention de quitter Lausanne pour s’installer à Budapest qui lui offrait des conditions particulièrement attractives. Ce débauchage en bonne et due forme, dans un contexte où la FIFA a également tenté – en vain pour l’instant – d’abandonner Zurich pour Paris, questionne sur la capacité de la capitale vaudoise à maintenir son statut de grande ville sportive mondiale, elle qui accueille sur son sol une bonne soixantaine d’organisations sportives, avec à la clé plus d’un demi-milliard de francs de retombées économiques pour toute l’agglomération.
«Il faut vraiment surveiller la situation comme le lait sur le feu car il y a en effet un risque que de plus en plus d’organisations sportives quittent Lausanne, explique Jean-Loup Chappelet, professeur honoraire de l'Université de Lausanne, et spécialiste du mouvement olympique. Tout bouge très vite aujourd’hui, et la concurrence tend à s’exacerber. Il y a vingt ans, c’étaient des villes comme Monaco, aujourd’hui c’est Paris, Londres, Budapest».
Atouts lausannois
Connus de longue date, les atouts de la capitale vaudoise, même en ces temps de concurrence exacerbée, lui confèrent, pour l’heure en tout cas, une longueur d’avance. Il y a bien sûr, la sacro-sainte stabilité du système politique suisse, la qualité de vie sur les rives du Léman et surtout la présence du Comité international olympique dont le magnétisme, à relier à son immense poids financier, s’exerce dans le monde entier. Sans compter la présence du Tribunal arbitral du sport, de droit privé, mais où se règlent tous les litiges à l’échelle mondiale et autour duquel gravite une nuée de cabinets d’avocats. «Lausanne ne manque pas d’avantages malgré son coût de la vie élevé, ajoute Jean-Loup Chappelet. Le statut juridique très souple d’association de droit suisse en est un, et il y a évidemment le fait que ces organisations ne payent pas d’impôts dans le Canton de Vaud».
Et ce n’est pas tout. Avec la Fondation Lausanne Capitale Olympique lancée il y a deux ans, Ville de Lausanne et Canton de Vaud se sont en outre dotés d’un très performant outil d’accompagnement et de soutien - y compris deux années de loyer gratuit à la Maison du Sport Internationale -, pour attirer et maintenir sur le territoire suisse les organisations sportives. Non sans succès d’ailleurs, comme le prouve l’arrivée récente de la fédération internationale du sport scolaire (lire l’article dans notre édition du 15 janvier).
Créatif et proactif…
Pour convaincants et séduisants qu’ils soient, tous ces avantages pourraient néanmoins à l’avenir ne pas suffire. «Aujourd’hui, la situation n’est pas dramatique, mais elle pourrait l’être demain, observe un fin observateur du monde sportif lausannois, qui souhaite conserver l’anonymat. Il faut quand même se demander pourquoi tant de fédérations partent ou souhaitent partir. Et l’une des explications est que l’on a perdu la proximité avec le Comité international olympique qui, c’est un euphémisme, n’est pas vraiment une priorité pour l’actuelle Municipalité». Et d’ajouter: «Pour garder les organisations sportives il faut être créatif et proactif, trouver des idées. Savez-vous comment dans le milieu sportif on surnomme la Maison du sport international malgré ses locaux très fonctionnels? Le mouroir, tant il ne s’y passe jamais rien!».
L’autre maillon faible de Lausanne est institutionnel. Il s’appelle… «Confédération» qui entre autres compétences, détient la clé des permis de séjour pour les employés non-européens des organisations qui s’installent dans la capitale vaudoise. «Lausanne et le Canton sont très avenants avec les organisations sportives observe Jean-Loup Chappelet. Mais ils devraient renforcer leur lobbying à Berne, qui pour des raisons historiques ne brille pas pour sa sensibilité aux fédérations sportives. Il faut convaincre Berne que la Lausanne Olympique à l’instar de Davos ou de Genève, est importante pour l’ensemble de la Suisse».

 

«Nous ne faisons pas preuve de naïveté»

Le statut de capitale sportive pour Lausanne est-il menacé?
Emilie Moeschler, municipale en charge des sports: Non, mais nous ne faisons pas preuve de naïveté. Beaucoup nous envient ce statut unique au monde et cet écosystème dynamique que nous avons su créer en 30 ans. Nos contacts étroits avec le CIO et les instances sportives internationales apportent beaucoup à la région, en emplois et en retombées économiques, dont environ 550 millions de francs par année pour Lausanne. Mais il n’y a pas que cela, il faut aussi mettre en valeur la création de liens avec la population et le sport local.  Cette concurrence ne m’inquiète pas, même si on la sent plus agressive aujourd’hui. Mais elle doit s’exercer avec fair-play. Nous avons un cadre législatif clair et des valeurs propres à notre démocratie. A nous de convaincre par des atouts qui vont au-delà de considérations purement financières, par exemple.
La fédération internationale de natation, l’une des plus importantes au monde après celle d’athlétisme, vient de quitter Lausanne pour Budapest…
Nous le regrettons, mais cette fédération avait des attentes auxquelles la Ville et le Canton ne pouvaient répondre. Bâtir rien que pour elle un centre d’entrainement à plusieurs dizaines de millions de francs n’était, par exemple, pas envisageable et ne faisait pas de sens. Néanmoins, nous gardons de bonnes relations avec elle et le siège de leur fondation restera à Lausanne. A l’inverse, nous venons d’accueillir la fédération internationale du sport scolaire, qui exprime une vraie volonté de travailler avec nous pour des projets en direction de la population. Une volonté d’ailleurs partagée par d’autres fédérations sportives. Cela montre que notre action porte ses fruits!
Donc oui aux organisations sportives internationales, mais pas à n’importe quel prix?
Exactement. Il faut garder la tête froide et ne pas perdre nos valeurs et du reste, c’est très bien compris quand on l’explique. La fondation «Lausanne Capitale Olympique», créé avec le Canton, va apporter des services plus exclusifs en comprenant très finement les besoins du sport international. Cela ne veut pas forcément dire plus d'argent, mais être plus agile, plus spécifique. Nous n’entrons pas en matière pour des arrangements financiers et des faveurs qui sortent de notre cadre législatif. La Suisse est un état de droit, et notre démocratie est stable, c’est un vrai atout qui est apprécié.