Pierre Perret bientôt en Suisse: «Gamin, j’absorbais déjà la souffrance des gens!»

Inclassable monument de la chanson française, Pierre Perret sera le 7 avril prochain au Théâtre du Léman à Genève pour un concert unique. Rencontre avec un troubadour rieur et malicieux de 84 ans qui ne manque ni de gravité, ni d’engagement.

Vous connaissez bien la Suisse…

Mais oui, cela fait plus de 60 ans que j’y viens. La première fois, c’était lors d’une tournée en tant que comédien, et on avait fait Lausanne, Genève et Bienne. Au départ, le public était plutôt réservé. Mais depuis, les Suisses me connaissent bien et chaque fois que je viens, c’est la fête, ils font mon boulot et chantent la moitié de mes chansons, ce qui ne me déplaît pas du tout…

En France, vous avez très tôt affirmé votre soutien au mouvement des Gilets jaunes. Or ceux-ci appellent à s’inspirer de la Suisse et à organiser des référendums plus souvent…

C’est tout sauf une mauvaise idée que de demander au peuple son avis! Poser la même question à un riche et à un pauvre, faire la synthèse des réponses, même si elles sont différentes, puis en tirer les conséquences. C’est cela qui permet d’avancer.

Les Gilets jaunes sont un mouvement protéiforme. Ne craignez-vous pas d’être récupéré par les plus ultras?

Même si mon cœur penche plutôt à gauche, je suis apolitique et n’appartient à aucun parti. Personne ne peut me récupérer…

D’où vous vient cette perpétuelle colère contre l’injustice?

Très jeune, j’ai été élevé dans un environnement qui m’a permis de connaître et rencontrer les «Gilets jaunes» de l’époque, ces gens pour lesquels le mois s’arrêtait le 10 et qui se demandaient comment survivre. Et aujourd’hui, on assiste à la même chose. Un maire me racontait avoir rencontré une femme de 70 ans qui achetait des croquettes pour chats pour se nourrir elle-même. Aujourd’hui encore, Zola n’est jamais très loin et c’est malheureux qu’on en soit encore là.

A l’issue d’une incroyable carrière vous êtes à l’abri du besoin. Mais les réalités de la vie quotidienne vous préoccupent toujours…

Gamin, j’absorbais déjà la souffrance des gens, et ça ne m’a jamais quitté, c’est plus fort que moi. J’ai eu la chance de vivre de ma passion, mais je n’ai jamais été déconnecté de la réalité.

Vous restez tout de même atypique, en marge du show-biz, en marge de la France d’en haut…

Oui, je préfère faire partie de la France observatrice et compatissante, en empathie avec les gens qui sont blessés pour une raison ou une autre.

Tout cela fait de vous un des derniers chanteurs engagés, une espèce aujourd’hui en voie de disparition…

Malheureusement oui. Deux éléments expliquent cela, l’éducation et l’instruction, et la maturité. Tout part des études, et personnellement j’ai tellement souffert de n’avoir eu que le certificat d’études qu’à 15 ans, au conservatoire, quand j’ai découvert Racine, Molière etc, je me suis rué dessus. C’est seul que j’ai dû aller vers la poésie, l’humour, le surréalisme, entre Rimbaud et Alphonse Allais… Faute d’instruction, les jeunes d’aujourd’hui manquent de grain dans leur écriture, dans une époque où la technologie est censée l’emporter sur tout.

Vous voilà soudain pessimiste…

Non, lucide. Toute ma vie, j’ai écrit pour combattre contre ce qui semble arriver aujourd’hui… Mais ceci dit, je préfère regarder devant et pas derrière. J’aime garder les yeux ouverts, une curiosité intacte pour parcourir le monde, aller à la rencontre des gens, les écouter. Si vous voulez rester créatif, il faut savoir ce qu’il y a réellement autour de vous.

A 84 ans, voyez-vous la vieillesse comme un naufrage, comme le disait le Général de Gaulle ?

Non, il semble que ce ne soit pas lui qui ait dit ça mais Victor Hugo qui ajoutait, à propos de la bataille d’Hernani: «Garde-toi à droite et garde-toi à gauche». Je suis à l’âge où je me garde à droite et à gauche et regarde où je mets les pieds (rires).

Après 60 ans de carrière, vous restez extrêmement populaire. Cela vous surprend-il ?

Mais depuis le 1er jour je suis surpris que l’on puisse me demander un autographe! Même si je crois que les gens sont plus touchés par mon discours que par ma personne, cela reste une récompense fantastique. Tout ce que je peux leur dire, c’est «Merci de m’avoir permis de traverser toutes ces années en vivant de ma passion et en ne dépendant de personne!»

«Pierre Perret fête ses 80 ans».  Le dimanche 7 avril à 15h au Théâtre du Léman. Location fnac, TicketCorner et prestoprod.ch