Quand l’intelligence artificielle ébranle le monde académique

PLAGIAT • L’intelligence artificielle fait souffler un vent de panique dans les institutions universitaires. Alors que l’université de Prague supprime purement et simplement les mémoires de fin d’études, les universités romandes cherchent une parade efficace.

  • Faire rédiger des travaux crédibles par les outils d’intelligence artificielle est un jeu d’enfant. 123RF

«Au début, les profs n’y voyaient que du feu. Aujourd’hui c’est un peu plus difficile»
Julie, étudiante à l’Unil

Pour radicale qu’elle soit, la mesure a le mérite de clarifier les termes du débat. A Prague, la faculté d’économie vient en effet d’adopter une mesure draconienne et unique en Europe : désormais, ses étudiants n’auront plus à rédiger de mémoire de fin d’études pour valider leur formation, principalement en raison du recours par ces derniers à des algorithmes d’intelligence artificielle.
Qui en effet n’a pas entendu parler de ChatGPT, ce robot dit «d’intelligence artificielle» mis en ligne il y a un peu plus d’une année par la société OpenAI et capable de rédiger à la demande lettres de motivation, CV, nouvelles de fiction et… travaux universitaires? Avec des résultats si bluffants qu’un véritable vent de panique souffle depuis sur l’ensemble du monde académique. «A l’instar de beaucoup de mes collègues, j’y ai en effet recours depuis quelques mois, explique Julie une étudiante de l’Unil. ChatGPT me fait gagner un temps fou et me délivre d’une tâche que je déteste: rédiger» et d’ajouter avec un sourire: «Au début, les profs n’y voyaient que du feu. Aujourd’hui c’est un peu plus difficile, mais je l’utilise quand même de temps à autre».
Pas à l’ordre du jour
Très vite en effet, les institutions universitaires romandes ont senti le vent du boulet, l’intelligence artificielle mettant à mal une des modalités majeures de ses procédures d’évaluation: la rédaction de travaux par les étudiants. Pour l’heure cependant, aucune des institutions interrogées n’a prévu d’avoir recours à une mesure aussi drastique que celle adoptée dans la capitale tchèque. «Nous n’entendons pas à ce stade renoncer à la rédaction de travaux de grande ampleur par les étudiants» explique ainsi Emmanuel Barraud porte-parole de l’EPFL. «La suppression de la rédaction de mémoires n’est pas à l’ordre du jour» renchérit en écho Luana Nasca, assistante presse de l’université de Genève.
Pour faire face à la déferlante ChatGPT, la plupart des universités préfèrent intégrer les outils d’intelligence artificielle à leurs formations, tout en misant sur l’encadrement et la sensibilisation des étudiants. Une démarche d’ailleurs recommandée par… ChatGPT lui-même (lire encadré).  L’Unil, l’Unige, l’EPFL et l’Institut des Hautes études internationales à Genève (IUHEI), pour ne citer que ceux-là ont ainsi tous émis des directives, guides et autres recommandations à l’intention de leurs étudiants.
A détailler celles-ci, deux axes apparaissent: une dénonciation ferme de tout acte de plagiat, mais aussi des conseils voire des formations pour exploiter au mieux le potentiel des intelligences artificielles génératives, le tout par le biais de laboratoires et autres structures d’innovation ou de réflexion. «Notre direction s’est refusée à diaboliser l’IA et à mettre en place une politique répressive à tout prix. Au contraire, elle a souhaité que l’IA s’impose comme une opportunité avec pour objectif de donner une valeur didactique à l’IA» explique Laurence Algarra de l’IUHEID. «De notre point de vue, il est plutôt intéressant d’éduquer et de former les enseignants et les étudiants sur le fonctionnement des IA et de leurs avantages et limites, afin que chacun puisse en découvrir les usages au service de l’enseignement et de l’apprentissage» renchérit de son côté Géraldine Falbriard, responsable des relations médias de l’Unil.
Pour louables qu’elles soient, ces recommandations et propositions ne suffiront pas à empêcher tout étudiant qui le souhaiterait à recourir à ChatGPT pour rédiger ses travaux. Alors, sans aller aussi loin que Prague, nos universités cherchent des parades. «Nous utilisons et développons des outils anti-plagiat capables de déterminer si des éléments d’un texte proviennent d’autres auteurs que celui ou celle qui les signe» avertit ainsi Emmanuel Barraud de l’EPFL.
Innover
«Le monde académique est très ébranlé par l’irruption des intelligences artificielles, mais s’il pense s’en tirer avec des chartes et des outils anti-plagiat qui seront très vite dépassés, il se fourre un doigt dans l’œil, image un professeur d’une haute école romande. La vérité est qu’il faudra travailler et innover pour changer en profondeur les modalités d’évaluation des étudiants. C’est à ce prix que les titres universitaires pourront garder leur crédibilité».
Cet appel à s’adapter, les universités l’ont entendu et tentent de privilégier les travaux de groupe ou les présentations orales, voire d’imaginer de nouveaux formats pour les travaux à rendre. L’IUHEID propose par exemple de nouvelles modalités d’évaluation des compétences comme la création de documentaires ou de contenus multimédia. «Il est évident que les enseignants doivent penser à adapter les travaux demandés à la présence de ce genre de technologie, conclut Géraldine Falbriard de l’Unil. Plus les travaux demandés s’appuient sur une analyse personnelle et documentées autour de sources probantes et plus faibles sont les possibilités que les étudiants ne fassent appel à des IA pour le cœur de leur travail».

 

Ce qu’en pense… ChatGPT

«Faut-il supprimer les mémoires de fin d'étude en raison des risques de plagiat avec ChatGPT» telle est la question que nous avons posée au célèbre robot d’intelligence artificielle. Voici sa réponse, édifiante:
La question de savoir s'il faut ou non supprimer les mémoires de fin d'étude en raison des risques de plagiat avec des modèles comme ChatGPT est complexe et suscite des débats. Voici quelques points à considérer:
1. L'évaluation juste des compétences des étudiants: Les mémoires de fin d'étude sont souvent utilisés pour évaluer les compétences d'un étudiant dans son domaine d'étude. Si ces travaux sont retirés, cela pourrait affecter la capacité des établissements d'enseignement à évaluer objectivement les compétences des étudiants.
2. Éducation sur le plagiat et l'éthique de la recherche: Plutôt que de supprimer les mémoires, une approche proactive pourrait consister à renforcer l'éducation sur le plagiat et l'éthique de la recherche. Les étudiants devraient être sensibilisés aux bonnes pratiques de citation et de référencement.
3. Utilisation responsable des technologies de génération de texte: Les modèles comme ChatGPT ont de nombreuses applications positives, notamment l'aide à la rédaction et à la génération d'idées. Encourager une utilisation responsable de ces technologies peut aider à atténuer les risques de plagiat.
4. Outils de détection de plagiat améliorés: Les institutions éducatives devraient investir dans des outils de détection de plagiat avancés qui peuvent identifier les travaux générés par des modèles de langage comme ChatGPT. Cela peut dissuader les étudiants de recourir au plagiat.
En fin de compte, la suppression des mémoires de fin d'étude pourrait ne pas être la solution idéale, car cela pourrait priver les étudiants d'une opportunité d'apprentissage précieuse. Au lieu de cela, une approche équilibrée qui combine sensibilisation à l'éthique, éducation sur le plagiat et utilisation responsable de la technologie pourrait être plus efficace pour faire face à ce défi.