«Les troubles psychiques et le désespoir augmentent»

PAUVRETE • Structures d’accueil saturées, précarité et détresse en hausse, les milieux de défense des plus défavorisés tirent la sonnette d’alarme. Entretien avec Véronique Eichenberger, directrice adjointe de la fondation lausannoise Mère Sofia.

  • Photo Verissimo

    Photo Verissimo

Lausanne Cités: On l’a vu avec le campement sauvage organisé le 30 avril dernier à Beaulieu par les activistes du collectif 43m2, le sujet de la précarité devient de plus en plus brûlant à Lausanne, d’où vient cette tension?
Véronique Eichenberger:
La fermeture annuelle des différentes structures d’accueil cristallise forcément les tensions et les revendications. Mais la Fondation Mère Sofia mène une action politique différente de celle des collectifs militants. Nous souhaitons construire ensemble, avec la société civile, les donateurs privés, les autorités… Ceci dit, les actions militantes des collectifs comme 43m2 sont parfois nécessaires pour forcer les prises de conscience.

Vous êtes en colère?
Plutôt que la colère, c’est la tristesse qui nous habite.

Dans une lettre ouverte adressée à la conseillère d’Etat Rebecca Ruiz, votre fondation rappelle que la situation est vraiment alarmante, que des personnes dorment sous les tables durant les accueils de jour de la Ville, comment en est-on arrivé là?
Le dispositif d’hébergement d’urgence vaudois est sous pression. Ce qui se péjore également, et de manière aiguë depuis la crise du Covid, ce sont les situations et l’état de santé des personnes que nous recevons. Nous accueillons de plus en plus de gens qui présentent des troubles psychiques et qui sont désespérés.

Vous estimez que la Ville de Lausanne n’en fait pas assez?
Non, elle est l’une des plus généreuses dans sa politique de lutte contre la précarité. Elle finance beaucoup de structures à bas seuil d’accessibilité.

Justement, Lausanne met désormais à disposition 21 studios pour les personnes sans-abri et celles insérées dans le marché du travail mais recourant aux hébergements d’urgence, cela devrait vous réjouir, non?
C’est bien, mais cela ne remplace pas ce que nous faisons au Répit. Dans ce lieu, nous accueillons toutes les personnes dans le besoin sans distinction. Il est scandaleux que des gens qui travaillent ne puissent pas se loger convenablement, cela me révolte. Ces 21 studios seront attribués à ces personnes. Mais où iront les autres? C’est un retour à la rue pour elles.

A Lausanne, combien de personnes vivent actuellement dans la rue?
Très sincèrement, il est impossible d’estimer le nombre exact de sans-abris. Aucune étude n’a été réalisée à ce sujet. Au Répit, nous avons parfois accueilli jusqu’à 120 personnes par jour, ce qui démontre l’ampleur des besoins à Lausanne.

Pourtant, l’aide sociale existe pour ces personnes?
Pour obtenir l’aide sociale, il faut remplir certaines conditions comme celle d’avoir des papiers. Les démarches nécessaires à l’obtention d’un soutien sont également souvent rédhibitoires. Trop méconnues, compliquées, difficiles, simplement inaccessibles pour beaucoup.

Vous souhaitez que «le camping sauvage» soit dépénalisé et que des personnes puissent dormir dans la rue à Lausanne, vous pensez vraiment que c’est la bonne solution?
Faute de places dans les hébergements, c’est un minimum! Actuellement, ces personnes dorment non seulement dans la rue, mais en plus elles sont réveillées, amendées et leur sac de couchage est jeté aux ordures. Pour les sans-abris, c’est la double peine.

Que proposez-vous concrètement pour aider les plus précaires?
Il faut offrir plus de places dans les lieux d’hébergement à Lausanne. Tout en augmentant les points de distribution alimentaire.

La Fondation Mère Sofia souffle cette année ses 30 bougies, vous avez la tête à la fête?
Non, pas vraiment. Il est difficile de faire la fête quand on voit la précarité augmenter.