«Tuez-la, à condition que sa mort soit lente et douloureuse»

TÉMOIGNAGE • Durant un mois, sous le pseudonyme de Mélanie, une journaliste française s’est fait passer pour une jeune fille désireuse de partir faire son djihad. Elle a décidé de raconter son enquête dans un livre. Elle est aujourd’hui menacée de fatwa par l’Etat Islamique (EI).

  • Mélanie en a appris beaucoup sur le fonctionnement des djihadistes. DR

    Mélanie en a appris beaucoup sur le fonctionnement des djihadistes. DR

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    Mélanie en a appris beaucoup sur le fonctionnement des djihadistes. DR

Lausanne Cités: Tout commence sur Facebook en avril 2014. Sous le profil de Mélanie, vous recevez un message d’un certain Abou Bilel, djihadiste de 38 ans, basé à Raqqa, le fief de l’EI en Syrie.

Anna Erelle: Exactement. Ce Français, émir en Syrie, m’a demandé si j’étais musulmane et si je comptais venir en Syrie. Après un temps de réflexion, j’ai décidé de répondre que j’étais convertie à l’Islam. De part son âge, et son grade, Abou Bilel représentait une mine d’informations pour la journaliste que je suis.

Entre vous, la confiance s’installe très vite, mais vous devez faire attention, car Abou Bilel n’est pas n’importe qui…

C’était sûrement l’un des exercices les plus complexes. Bilel se disait «humble», mais en parallèle il livrait des détails sur sa vie de djihadiste haut gradé. Je devais rester très prudente pour démêler le vrai du faux de ses dires souvent surréalistes. Je me doutais qu’il était important, mais c’est en m’enfonçant plus loin dans l’enquête que je l’ai vraiment compris.

Au fil des semaines, vous apprenez toutefois que, dans une autre vie, l’homme s’appelait Rachid et vivait dans le nord de la France…

J’apprends ce que Bilel veut bien me livrer. S’il m’avoue son vrai prénom, il me dit d’abord être natif de Paris. J’apprendrai bien plus tard, et non par son prisme, qu’il est de Roubaix. Bilel s’emmêlait dans les différentes versions qu’il rabâchait, ainsi je pouvais avancer journalistiquement, mais cela restait un travail de fourmi.

Mais l’homme vous presse de le rejoindre et de venir servir «la cause de Dieu». Et tous les arguments sont bons pour vous convaincre….

Tous. De la religion, au mariage, à l’appât du gain, aux sentiments de culpabilité: Bilel avait toujours réponse à tout. Peu importe les interrogations, les réponses se trouvaient en Syrie, auprès de mon «futur mari».

Parallèlement, vous en apprenez aussi davantage sur l’organisation terroriste, notamment sur ce qu’on pourrait appeler le «cursus normal» d’une nouvelle recrue à son arrivée en Syrie…

Le cursus d’arrivée des recrues est toujours le même du côté de l’EI ou du Front AL Nosra: cours de tirs et de langue arabe pendant une à deux semaines jusqu’à évaluation. En ce qui me concerne, il me vendait une vie de princesse en plein milieu d’une guerre sanglante… Il m’en apprenait beaucoup sur l’organisation en profilant le rôle que moi, sa future femme, j’occuperais en arrivant sur place …

Puis, vous décidez de couper les ponts et vous publiez votre article…

A partir de là, il a compris que je n’étais pas celle que je prétendais être . Dans un premier temps, Bilel est blessé dans son ego et profère quelques menaces. Puis, silence radio. Son entourage, en Syrie, et en France, prend le relais. Par la suite, l’article paraît. Menaces, fatwa, après la découverte de cette supercherie, l’État Islamique a lancé contre moi un commandement très précis: «Tuez-la à condition que sa mort soit lente, douloureuse, violez-la, lapidez-la.»

Dix mois ont passé… comment vivez-vous cette situation?

Je la vis envahie par les questions, mais je ne vis pas dans la peur. J’avais pleinement conscience du risque que je courais. Depuis 10 mois, j’observe toutes les précautions nécessaires, je reste très prudente.

Anna Erelle, «Dans la peau d’une djihadiste», Editions Robert Laffont