Les petites et grandes plaies du champion

CHRONIQUE • La blessure, ça peut frapper n’importe quand, partout. C’est le cauchemar de l’athlète, le drame potentiel, surtout à six semaines d’une Coupe du monde.

Vulnus, vulneris, neutre. Ceux qui ont pratiqué le latin entre le nain jaune et le poker s’en souviennent. Pour les autres, vulnus, vulneris (génitif), pas si neutre notamment pour les passionnés d’étymologie, désigne la blessure. Par extension voire claquage (aïe), tout ce qui rend vulnérable le bipède à barbe ou l’athlète de haut niveau: le coup, la lésion, la morsure, l’entaille; la flèche, l’atteinte, la douleur, le deuil. Et manquer la Coupe du monde au Brésil sur une entorse, c’est pas terrible?

Vulnérable champion

La vulnus correspond par exemple au résultat du pilum dans le sternum. Mais elle peut s’avérer beaucoup plus grave pour celle ou celui qui, de son corps, fait un outil de travail. La blessure, c’est le machin qui rend l’irrésistible champion vulnérable. Parce qu’un ligament qui pète est susceptible au point de ruiner une carrière; et un tendon qui cède a le pouvoir de briser un rêve.

En touchant le bois d’une échelle sous laquelle on ne passera pas, nous pensions à Xherdan Shaqiri. Le petit génie du football suisse, tel Enée qui se fait recoudre sous l’œil de sa maman Vénus (fresque anonyme, Pompéi, Ier siècle après J.-C.), souffre de la cuisse. Depuis des semaines, sans la garantie que cela se termine aussi bien que chez Virgile. Le joker du Bayern Munich pourrait ne pas rejouer du tout avec son club avant d’endosser au Brésil le maillot de l’équipe de Suisse - et les espoirs de la nation avec.

Guérir...vite!

L’angoisse. Le détonateur sera-t-il au meilleur de sa patate? Le majeur fissuré du gardien Diego Benaglio tiendra-t-il? L’arrière central Fabian Schär sera-t-il en état de marche avant - et ses compères Philippe Senderos (cuisse), Tranquillo Barnetta (cuisse bis), Johan Djourou (adducteurs)? Toute cette chair à pâtir et une question délicate: la Suisse sera-t-elle en mesure de défendre ses chances au Mondial? «Pas de bras, pas de chocolat», serine le cruel adage.Vulnus, vulneris, pas neutre. Sage réponse du sélectionneur Ottmar Hitzfeld, qui a décidé lundi de repousser du 13 au 30 mai la date où il dévoilera la liste des 23 élus. Combat flippant pour Xherdan Shaqiri et ses co-équipiers d’infortune. Guérir au plus vite, sans surtout rechuter. Masquer son inquiétude pour ne pas la transmettre. Douter, aussi.

Un éclair de dérision

La blessure peut frapper partout du troisième métacarpe aux boyaux de la tête en passant par la capsule rotulienne et le cœur. La blessure. Qu’en pense David Moyes dans son for intérieur, le brave homme qui vient de se faire éjecter de Manchester United pour n’avoir pas sur remplacer en neuf mois la cathédrale Alex Ferguson? Qu’en diraient les joueurs du Lausanne-Sport, condamnés sauf miracle à la relégation? La blessure, celle qui fait ou défait le sport, a mille visages. Dani Alves, Brésilien du FC Barcelone, aurait pu se sentir blessé quand un supporter raciste de Villareal lui a lancé une banane. Il aurait pu causer scandale, convoquer le drame. Il a préféré mordre dedans - le fruit, pas le xénophobe. Un éclair de dérision et, peut-être, le plus beau des hommages à Tito Vilanova, son ancien entraîneur, décédé la semaine passée d’un cancer à 45 ans. La mort, ce truc idéal pour relativiser les blessures.