Le Conseil communal rembourse 30'000 francs de frais d’avocats sans base légale

JUSTICE • Alors que les conseillers communaux ne bénéficient pas d’une immunité juridique (lire LC du 25.01.2023), ils semblent en tout cas prendre le chemin d’une immunité financière, et ce sans le moindre cadre légal.

  • Selon la présidente du Conseil communal, la protection juridique des élus est importante.SIEBER

    Selon la présidente du Conseil communal, la protection juridique des élus est importante.SIEBER

Ces deux dernières années, de plus en plus de conseillers communaux sont poursuivis au pénal pour des propos ou des écrits dans le cadre de l’exercice de leur mandat. Il y a eu l’affaire Valéry Beaud et consorts, poursuivis par l’administrateur de l’aéroport de la Blécherette Patrick De Preux, l’affaire Benoît Gaillard et même quelques autres, symptôme d’un durcissement du débat politique lausannois. Pour assurer leur défense, ces élus se doivent donc de faire appel à des avocats. Et cela coûte cher, très cher même. Selon nos informations, le bureau du Conseil communal de Lausanne est, depuis 2020, entré à plusieurs reprises en matière pour rembourser – sur justificatifs bien sûr, ces frais.

Selon les chiffres confirmés par Magali Crausaz, l’actuelle présidente du Conseil communal, environ 13'000 francs ont été déboursés pour les frais du Vert Valéry Beaud, 13'000 pour le socialiste Benoît Gaillard, 2300 pour le socialiste Louis Dana, et… probablement 2400 pour l’UDC Anita Messere qui vient à son tour d’introduire une demande de remboursement. Au total plus de 30'000 francs, pris sur le budget du Conseil communal, mais… sans aucun cadre légal ni réglementaire. Au point que la conseillère communale PLR Marlène Bérard s’en est émue via une motion demandant une clarification (lire encadré).

«Décisions démocratiques»

«C’est vrai, aucun règlement ne prévoit actuellement que c’est au bureau du Conseil communal de se saisir de ce genre de demandes, confirme la présidente Magali Crausaz. Il y a un vide et je suis ravie que la motion de Marlène Bérard ouvre le chemin pour le combler à l’avenir, car c’est un problème». Et de rappeler: «Cela étant, le bureau est l’émanation du Conseil communal, toutes les forces politiques y sont représentées, les décisions y sont démocratiques et je rappelle qu’il s’est à chaque fois prononcé à l’unanimité ou à la quasi-unanimité».

Pas de cadre règlementaire donc, mais pas de critères précis non plus, si ce n’est d’exciper de sa simple qualité d’élu. «C’est la seule condition actuellement, car notre but est de protéger les élus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et il ne faut pas décourager les vocations des politiciens de milice, ajoute Magali Crausaz. C’est très important dans une démocratie, alors que, faut-il le rappeler, les conseillers communaux ne bénéficient actuellement d’aucune immunité».

Pour l’heure, la procédure pour se faire rembourser ses frais d’avocat a été très simple. Un courrier de demande adressé au bureau, un envoi des pièces justificatives et un vote du bureau. Aucun autre critère n’est requis, ni le niveau de revenus du requérant, ni même la nature de l’affaire pour laquelle il est poursuivi, et encore moins ce qui adviendrait pour le cas où il serait condamné par les tribunaux.

La conseillère communale PLR Marlène Bérard a déposé un postulat afin de combler ce qu’elle considère être un vide juridique.

Lausanne Cités: La Ville doit-elle financer les frais d’avocats des élus?

Marlène Bérard: En tout cas, il n’y a aucune base légale ou réglementaire pour cette pratique. Il me semble indispensable de préciser dans quels cas cette prise en charge devrait être accordée.

Pourquoi estimez-vous que les élus méconnaissent les limites de ce qui peut être dit dans le débat politique?

On a récemment eu quelques cas où les débats au sein du Conseil communal ont franchement dérapé, comme par exemple lorsqu’un municipal a été traité de nazi… Dans la presse également, certains élus ont tenu des propos qui ont pu offenser la sensibilité de certaines personnes et qui ont abouti au dépôt d’une plainte pénale. Tout cela montre que les limites imposées par le code pénal ne semblent pas toujours bien connues et comprises...

Au point de le formaliser dans un document écrit comme le demande votre motion?

Cela devrait en effet être une évidence, mais un rappel des règles élémentaires me semble utile. Il s’agit en réalité d’une démarche de prévention, dont le but est d’éviter que l’ultime recours ne soit l’action pénale. Les élus doivent savoir sans équivoque ce qu’ils peuvent affirmer ou pas et à quoi ils s’exposent s’ils le font.

Un élu ne doit-il pas disposer d’une certaine marge de manœuvre dans son expression politique?

Quand on est un élu, on doit faire attention à l’impact de nos propos. On ne peut pas se cacher derrière son statut de politicien de milice pour se dérober à ses responsabilités. Le code pénal doit s’appliquer à tous de la même manière...

Tambouille communale, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Les conseillers communaux ne devraient pas faire cela. Confrontés à des poursuites pénales dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent consentir des frais d’avocats, parfois importants, pour assurer leur défense. Pour y faire face et à leur demande, le bureau du Conseil communal, dans lequel tous les partis sont représentés, a accepté d’entrer en matière pour un total de 30'000 francs (lire en page 5), un montant appelé à augmenter dans les années à venir. Aussi compréhensible puisse-t-il être - les élus communaux ne bénéficient d’aucune immunité dans l’exercice de leur fonction-, ce remboursement pose un problème. Non seulement il accrédite le déplorable sentiment d’une tambouille corporatiste entre amis, mais en outre il s’effectue sans la moindre base légale, ce qui dans un état de droit est toujours très problématique.

Pour être inattaquable au moins sur la forme, il eût fallu que la démarche soit fondée sur une règlementation qui aurait été au préalable décidée et mise en place dans les règles de l’art. Ce n’est pas le cas, et c’est d’autant plus déplorable que d’autres questions tout aussi importantes doivent impérativement être clarifiées: un élu millionnaire devrait-il avoir droit à un remboursement de ses frais d’avocat au même titre qu’un élu qui émarge à l’aide sociale? Un élu définitivement reconnu coupable par la justice devra-t-il rembourser les frais d’avocats payés par le Conseil communal? Si un politicien ne doit évidemment être ni au-dessus ni au-dessous des lois, il doit aussi éviter de se placer sciemment en dehors, comme la pratique actuelle en est l’illustration. Aussi bien pour des raisons d’éthique que d’exemplarité, il est urgent que ce problème soit réglé au plus vite.