Les Vaudois sont de plus en plus pauvres

PRECARITE • Les Vaudois les plus pauvres ont vu leur revenu chuter depuis plusieurs années. A cela s’ajoutent des personnes hors statistiques et des intermittents de la pauvreté. Une certitude: il y a un vrai déficit de chiffres sur la pauvreté.

  • En dix ans, la situation des Vaudois les plus précarisés n’a cessé de se dégrader. 123RF

    En dix ans, la situation des Vaudois les plus précarisés n’a cessé de se dégrader. 123RF

En Suisse, la pauvreté augmente. Entre 2014 et 2019, le taux de pauvreté est passé de 6,7% à 8,7% de la population, et ces chiffres précèdent la pandémie. Ce taux de pauvreté qu’utilise le Conseil fédéral se base sur la part de personnes vivant sous le minimum vital de l’aide sociale, fixé à 3900 francs pour une famille de quatre. Mais ce taux ne fait pas l’unanimité. «C’est un taux politique», qui sous-estime la pauvreté, estime Jean-Pierre Tabin, professeur HES-SO honoraire, spécialiste des questions de pauvreté. «Il suffirait d’abaisser encore les normes de l’aide sociale pour le diminuer». Un taux plus fiable est celui qui se base sur les normes internationales, et qui s’élève à 15,4% pour la Suisse. Et même ce taux exclut les sans-papiers et sans domicile fixe.

Décrochage

Sur le canton de Vaud, il faut procéder par recoupements pour déceler la tendance, en l’absence de chiffres précis ou récents. D’après le rapport social vaudois 2017, entre 2006 et 2014, les plus pauvres ont connu un véritable décrochage de leur revenu disponible, qui se retrouvait plus bas en 2014 qu’en 2006.

Pour saisir la tendance plus récente, une étude de la Haute Ecole de Travail Social (Vaud) (HETSL), qui a suivi un panel de Vaudois entre 2014 et 2018, montre que le revenu disponible médian est passé de 44'000 à 42'600, et que le taux de pauvreté est passé de 8,2% à 8,6%. L’étude insuffisante du phénomène a favorisé le lancement d’un Observatoire des précarités dans le canton, le 12 mai dernier, par la HETSL. «Il y a des voyants qui s’allument», constate la directrice de l’Observatoire, Emilie Rosenstein. Les associations voient des publics qu'ils ne voyaient pas auparavant. C’est également le constat que fait Judith Kühr, adjointe scientifique à la HETSL. «En plus des personnes à l’aide sociale, la pandémie a révélé l’étendue de l’économie informelle. C’est une pauvreté cachée, devenue visible, qui concerne des personnes très peu protégées et vite fragilisées par ces situations de crise». En plus du problème du non-recours, il y a une population qui reste passablement sous les radars des statistiques: celle qui connaît des situations de «portes tournantes», naviguant entre emploi et chômage.

Les subsides ont doublé

Le canton de Vaud affiche un taux d'aide sociale de 4,4%, contre 3,2% pour la moyenne suisse. Curieusement, l'aide sociale au sens strict est restée stable sur Vaud en 2020-2021. «Mais il faut tenir compte du non-recours, notamment parmi les personnes qui craignent le non-renouvellement de leur permis de séjour, explique Emilie Rosenstein. Ces dernières ont moins fait appel à l'aide sociale depuis le durcissement de la loi sur les étrangers en 2019, par crainte de renvoi». Pour avoir une idée plus réaliste, «il faudrait calculer l'évolution de l'aide sociale au sens large, en incluant les prestations complémentaires et d’autres allocations cantonales (rentes-ponts, PC Familles, bourses d’études, subsides LaMal, etc.) et communales (logements subventionnés, par exemple), explique Jean-Pierre Tabin. En le faisant, on observerait une nette progression de la pauvreté dans le canton de Vaud depuis une dizaine d'années».

Et en effet, l’aide sociale au sens large a progressé de 11% en 2011 à 14% en 2020 sur sol vaudois. Quant aux subsides à l'assurance maladie, ils ont presque doublé en dix ans. «C'est grâce à l'augmentation de ces prestations que la pauvreté n'a pas explosé, mais c'est au prix de dépenses sociales accrues», souligne Emilie Rosenstein. D'autres indicateurs seraient nécessaires pour saisir la précarité. C’est à quoi s’attelle la Direction générale de la cohésion sociale du canton.