Le sida, nouveau parent pauvre des politiques de prévention

Chaque année, environ 80 nouveaux cas de sida sont déclarés dans le canton, plus de 500 pour toute la Suisse.
Ce chiffre est stable, marquant une inflexion notable des politiques menées en termes de prévention.
Malgré des traitements efficaces, les patients vivent toujours leur maladie dans une semi-clandestinité.

«Le sida n’est

plus une priorité politique»

Sandrine Bonnet, présidente de la Fondaction Sid’Action

Une bataille décisive a été gagnée, mais pas la guerre. En termes de VIH, l’arrivée des trithérapies il y a une vingtaine d’années a fondamentalement changé la donne, sauvant la vie de millions de personnes jusque-là condamnées à mort et qui aujourd’hui vivent à peu près normalement. Seulement voilà: si la situation est infiniment meilleure qu’avant, rien n’est gagné pour autant. L’année dernière en effet, 542 nouveaux cas de VIH ont été enregistrés en Suisse, 76 dans le canton de Vaud, un des plus touchés en raison de son caractère urbain. «Ces chiffres ne sont pas très rassurants, car d’année en année, le nombre de nouvelles infections reste stable et ne diminue pas», estime Sandrine Bonnet, directrice de la Fondation Sid’Action, à Lausanne.

Nouveaux profils de malades

En cause: la multiplication des rapports à risques, alors que de plus en plus de personnes pensent que le problème du HIV est réglé. Si dans le canton, la majorité des nouveaux cas concernent toujours au premier chef les homosexuels, les professionnelles du sexe et les migrants, de nouveaux profils de personnes infectées voient ainsi le jour, faisant apparaître une nouvelle réalité du HIV. «On observe pas mal de nouvelles infections chez les plus de 50 ans, note Sandrine Bonnet. Ce sont souvent des personnes qui ont eu une première vie sexuelle en couple et qui, devenues célibataires, ont tendance à ne pas se protéger. Il y a aussi le cas de personnes qui ne se sont pas protégées lors d’un rapport hétérosexuel et qui ne sont pas tombées sur la bonne personne, ou celles dont le compagnon a été infidèle avec une prostituée. Le sida n’est clairement plus aujourd’hui une maladie de ghetto comme elle a pu l’être au début de l’épidémie».

Le maintien de l’épidémie à un niveau stable trouve son origine non seulement dans le maintien de comportements sexuels à risques, alors que le sida reste une maladie incurable (voir encadré) mais aussi dans une diminution de l’effort public dans les actions de prévention. «Le sida n’est plus une priorité politique au profit de nouvelles modes, comme le développement durable ou les questions de genre, déplore Sandrine Bonnet. Tout simplement parce que nous ne sommes plus dans l’urgence du début de l’épidémie. La réalité politique d’aujourd’hui n’est donc clairement plus en faveur de politiques de prévention sur le long terme, en particulier en milieu scolaire par la sensibilisation des plus jeunes.»

Nouvelles infections stables, désinvestissement de la prévention, mais aussi misère sociale et psychologique. Car la troisième réalité du HIV aujourd’hui, est que les malades vivent toujours dans une semi-clandestinité sociale.

Maladie cachée

«Je suis séropositif indétectable depuis plus de 10 ans, explique Jeremy, un quadragénaire lausannois qui a souhaité être identifié par un prénom d’emprunt. J’ai une vie sociale et professionnelle normale, mais il ne me viendrait pas à l’idée de révéler à quiconque que je suis infecté par le virus. Je n’ai aucune envie d’être ostracisé ou qu’on me dise que c’est bien fait pour moi, comme j’ai pu l’entendre au tout début».

«C’est vrai confirme une assistante sociale. L’acceptation sociale du HIV n’a malheureusement pas beaucoup progressé, et ce quand bien même les traitements ont permis aux patients de vivre tout à fait normalement, avec une charge virale indétectable. Ce qui montre qu’il reste encore beaucoup à faire et qu’il faut redoubler d’efforts dans des campagnes de sensibilisation du grand public ».

Des traitements efficaces qui ne règlent pas tout

Depuis l’avènement de la trithérapie, à la fin des années 90, les images de malades décharnés et condamnés à mort appartiennent au passé. La médication a permis aux patients de retrouver une espérance de vie normale, d’autant que le nombre de comprimés à prendre chaque jour est passé d’une dizaine à une seul. Ainisi, avec un traitement correctement pris, les personnes infectées peuvent vivre tout à fait normalement et même avoir une sexualité non protégées si le virus est indétectable dans leur sang. Reste qu’il s’agit d’une véritable «mini-chimiothérapie», qui n’est pas dénuée d’effets secondaires plus ou moins difficiles à supporter pour les patients, et ce alors même que le traitement doit être pris à vie. Ces derniers conduisent malheureusement parfois certains malades à effectuer, sans consulter leur médecin, des interruptions de traitement régulières, qui peuvent conduire à la réapparition du virus.

Des traitements préventif non remboursé

Depuis 2012, le préservatif n’est plus le seul moyen de se protéger de la maladie, même s’il demeure incontournable et très fortement recommandé. Car est arrivée la PrEP, pour prophylaxie pré-exposition, recommandée par l’OMS comme un outil efficace de prévention biomédicale dans le monde entier. De quoi s’agit-il? La PrEP, à base de ténofovir DF/emtricitabine, est un traitement qui protège efficacement une personne séronégative d’une infection au VIH. Elle peut être prise de manière continue (un comprimé par jour) ou de manière intermittente (plusieurs comprimés avant et après la prise de risque), limitant considérablement le risque de transmission de la maladie. Seulement voilà: d’un coût de 900 frs pour 30 comprimés, alors même que des génériques existent mais ne sont pas autorisés en Suisse, le médicament n’est pas remboursé par les assurances-maladie de base.