Les dentistes vent debout contre l’assurance dentaire

- Les Vaudois seront bientôt appelés à voter sur l’instauration d’une assurance dentaire obligatoire.
- Les dentistes dénoncent ce dispositif qui ferait exploser les coûts de la santé dentaire.
- Ils préconisent des aides ciblées en faveur des plus démunis.

  •  La mise en place d’une assurance dentaire se traduirait-elle par une explosion des coûts? Istock

    La mise en place d’une assurance dentaire se traduirait-elle par une explosion des coûts? Istock

  • Les Suisses sont champions du monde du brossage de dents. DR

    Les Suisses sont champions du monde du brossage de dents. DR

«Pourquoi détruire ce qui fonctionne?»

Olivier Marmy, vice président de la société suisse des médecins-dentistes

D’abord un constat. Celui des chiffres, implacables, fournis par l’Office fédéral des statistiques. Dans notre pays, 5% des personnes âgées de plus de 16 ans renoncent à des soins dentaires, pour des raisons financières, un chiffre qui monte même à 13% pour les personnes en situation de précarité.

Un constat qui conduit, un peu partout en Romandie, à voir fleurir des initiatives en faveur de la mise en place de systèmes d’assurance permettant de rembourser ces soins. Dans le canton de Vaud, on a même fait figure de pionnier, puisque c’est là que fut déposée par le POP et Solidarités Vaud la première initiative du genre, intitulée «Pour le remboursement des soins dentaires» et à laquelle le Conseil d’État a récemment opposé un contre projet.

Grandes réserves

Concernés au premier chef en tant que prestataires de soins, les dentistes s’opposent vertement à tout système public de prise en charge des soins dentaires: «Nous émettons les plus grandes réserves en ce qui concerne un dispositif d’aide étatique généralisée dont l’assiette financière est incertaine et les coûts non maîtrisables», explique-t-on ainsi du côté de la section vaudoise de la société suisse des médecins dentistes.

Et pour cause: une assurance de soins dentaires est pour les dentistes l’exemple même d’une fausse bonne idée. «Si nous étions intéressés par notre intérêt à court terme, nos soutiendrions ce genre d’initiative, souligne le médecindentiste lausannois Olivier Marmy, vice-président de la société suisse des médecins dentistes SSO. Même avec tous les contrôles possibles, ce serait le jackpot pour les dentistes». Car la mise en place d’une assurance dentaire obligatoire se traduirait à moyen terme par... une explosion de la demande et des coûts de la médecine dentaire en Suisse. «C’est une quasi certitude, explique-t-il, alors que jusqu’à présent la médecine dentaire est le seul domaine de la santé qui ne voit pas ses charges exploser, les dépenses par tête d’habitant pour les soins dentaires ayant même augmenté moins vite que le produit intérieur brut depuis 1995».

Pour les dentistes une assurance dentaire créerait un appel d’air pour les patients qui seraient ainsi incités à consommer mais aussi pour les dentistes qui, avec la libre-circulation, afflueraient en Suisse. Avec à la clé une augmentation des coûts de la santé dentaire et donc à terme une augmentation des prélèvements sur les salariés. En clair, toutes choses égales par ailleurs, l’instauration d’une assurance dentaire obligatoire exposerait-elle les Vaudois et les Suisses à un scénario type LaMal qui voit chaque année les primes d’assurance - et la charge financière pour les ménages - exploser?

«En tout cas, on mettrait le doigt dans un engrenage dont on ignore où il nous mènerait, avertit Olivier Marmy. L’Allemagne qui a mis en place un système similaire dans les années 70 a vu une explosion phénoménale des coûts qui a conduit les autorités à imposer un plafonnement par cabinet».

L’Allemagne, dont l’exemple est également invoqué par Jean-Michel Dolivo, conseiller communal à Lausanne, député solidaritéS/Ensemble à Gauche et membre du comité d’initiative pour le remboursement des soins dentaires, qui utilise ce pays pour la démonstration inverse. «Là-bas, explique-t-il, avec des soins dentaires inclus dans l’assurance-maladie, les frais dentaires représentent 6.17% des coûts de santé. Un chiffre à rapporter au 6.65% qu’ils représentent en Suisse.»

Et d’ajouter: «Dès lors que l’on évoque la question des coûts, il faut également prendre en compte le fait que la santé bucco-dentaire a également des conséquences sur la santé en général, notamment pathologies cardio-vasculaire, infections respiratoires, diabète. Une assurance pour les soins bucco-dentaires se traduira par une diminution des charges globales de santé. La raison, principale et non-avouée, pour laquelle de nombreux dentistes y sont opposés, c’est qu’une telle assurance conduirait à les soumettre à une tarification, donc à un certain contrôle de leurs factures. Pour certains d’entre eux, cela signifiera évidemment une diminution de leurs honoraires qui souvent sont très élevés!».

Les dentistes quant à eux tiennent mordicus au système actuel libéral et fondé sur la «responsabilité personnelle et l’autorégulation qui résulte de la relation directe patient-praticien. «Pourquoi détruire ce qui fonctionne? Le système marche correctement, ajoute Olivier Marmy, et la santé bucco-dentaire des Suisses est une des meilleures du monde. Une étude de l’OMS a d’ailleurs montré que les jeunes Suisses sont les champions du monde du brossage des dents».

Aides ciblées

Et de suggérer des aides ciblées en faveur de ceux qui renoncent aux soins pour des raisons financières: «Comme le dit l’adage, 90% des caries sont dans 10% des bouches. Ce sont ces dernières qu’il faut aider de manière ciblée avec l’aide des fondations privées et des pouvoirs publics».

Un dispositif d’aides ciblées que Jean-Michel Dolivo estime largement insuffisant. «Un tel dispositif ne peut remplacer une assurance sociale, fondée sur la solidarité, comme l’AVS. Il y a les personnes les plus précaires certes, mais aussi de nombreuses familles dont le budget ne permet actuellement pas d’assumer les frais dentaires. Seule une assurance sociale, financée par une cotisation proportionnelle au salaire, permettrait un remboursement pour toutes et tous.»