La querelle autour du marché 
Bô Noël s’envenime

CONTROVERSE • La décision de l’Exécutif lausannois de restreindre le marché de Noël après le 24 décembre, à la suite des doléances des cafés-restaurateurs, n’en finit pas d’agiter les esprits. Décryptage.

  • Le bilan du cru 2023 de Bô Noël sera effectué au printemps prochain. Photo Verissimo

«Si l’unique restaurateur lausannois trouvé pour soutenir Bô Noël afin de faire croire au public que nous sommes divisés, c’est leur associé, ça en dit long sur leurs méthodes d’enfumage et le tort causé par cette manifestation à la restauration!» Ce constat est celui d’un des protagonistes du dossier envenimé du marché des fêtes de fin d’années dans la capitale vaudoise. Il réagissait à une interview dans Blick d’un patron de resto très critique envers ses confrères réunis au sein de Gastro Lausanne et de Qui va payer l’addition?. Or, il est lui-même ami et surtout partenaire commercial des organisateurs de Bô Noël, à travers par exemple la société de boissons, vendues aux stands, Nic et nunc Sàrl. Si notre source préfère, comme d’autres, conserver l’anonymat, c’est à la suite de la demande du municipal responsable de l’économie adressée aux différents acteurs de cette affaire de cesser de communiquer avec les médias.
Depuis la décision de la Municipalité de prendre en considération les doléances de Gastro Lausanne, les coups portés dans certains médias et sur les réseaux sociaux contre les bistrots lausannois n’ont pas cessé. Ce qui a cristallisé l’incompréhension, c’est l’annulation de la Silent Disco du 31 décembre. Dans un édito récent du journal 24 heures, média partenaire du Bô Noël, les patrons de bistrots sont traités d’aigris et un parallèle improbable avec le marché historique de Vienne, en Autriche, y est fait. En évitant soigneusement de comparer les événements similaires en Suisse, comme Montreux et Genève où de tels marchés cessent le 24 décembre, ou passé 20 heures après cette date à Berne, et même le 23 décembre déjà à Bâle.
Concurrence déloyale
Derrière l’événement Bô Noël, on trouve la société Bô Noël Sàrl, elle-même créée par la dynamique entreprise Trivial Mass, active dans la communication et l’événementiel. Tout le monde s’accorde à dire que leur manifestation hivernale est très réussie avec une certaine originalité bénéfique à Lausanne. Le contentement général a cependant commencé à fléchir avec le changement de physionomie de ce «marché». Sur 78 stands présents au Bô Noël l’an dernier, 50 étaient désormais consacrés à la vente de boissons et de nourriture à consommer sur place. Et ce jusqu’au 31 décembre avec des avantages et des contreprestations offertes par la Ville dont ne bénéficient pas les bistrots corsetés par la loi et le règlement communal, tandis que leurs chiffres d’affaires chutaient durant cette période. C’est pour cette forme de concurrence déloyale que la Ville, après réflexion et un tour de table, a concédé des changements. Outre les horaires des stands restreints à 20h une fois Noël passé, il sera permis aux cafés-restaurants d’exploiter des chalets à l’extérieur jusqu’en février.
Le business du vin chaud
C’était compter sans le mécontentement de Bô Noël Sàrl, qui y voit une perte de gains assurés via la vente lucrative de boissons. Parmi elles, le business du vin chaud qui procure de grosses marges. Il s’agit d’un monopole détenu par l’entreprise Urban Drinks Factory qui produit des hectolitres de ce breuvage pour l’ensemble du marché. Or elle est partenaire associée d’une autre société fournisseuse officielle à Bô Noël: Chic Boissons Sàrl. A sa tête, on y trouve notamment Florian Schmied, co-fondateur de Trivial Mass et directeur de Bô Noël Sàrl. Vous suivez? L’occasion pour Lausanne Cités de prendre un peu de hauteur afin de poser des questions de fond (lire l’encadré). Dans cet événement lausannois saisonnier récurrent et subventionné, a-t-on affaire à un marché public de service ou à une concession? Lorsqu’une commune loue son domaine public et facture à prix probablement préférentiel l'électricité - les SIL étant partenaires officiels du marché de Noël organisé par une société privée qui obtient aussi de l’argent public, n’est-il pas légitime de savoir à combien se montent les recettes totales et comment sont-elles réparties?
Contacté, le municipal Pierre-Antoine Hildbrand précise que la Ville a validé le résultat de discussions entre les différents acteurs économiques dans l’optique de trouver «le meilleur équilibre». Quant à l’intérêt de réaliser un audit à terme et éventuellement d’organiser un futur appel d’offres, l’élu PLR déclare qu’«un bilan sera tiré au printemps».

Appel d’offres

Quel est le régime d’autorisation appliqué par une collectivité publique pour l’octroi de l’usage privatif de son domaine public? Le Centre de compétences sur les marchés publics (CCMP) du Canton de Vaud constate que le nouveau droit révisé des marchés publics précise que la délégation d’une tâche publique ou l’octroi d’une concession sont considérés comme des marchés publics quand le soumissionnaire se voit accorder des droits exclusifs ou spéciaux qu’il exerce dans l’intérêt public en contrepartie d’une rémunération ou d’une indemnité, directe ou indirecte. Dans le cas concret lausannois, il n’est pas évident de savoir si une simple autorisation de la commune suffit. Quant à un appel d’offres, il n’y aurait pas d’obligation d’ouvrir ce marché ou l’octroi de cette concession à la concurrence tant que le chiffre d’affaires reste en dessous de 150 000 fr ancs. 
Au-delà, ce qui semble être le cas pour Bô Noël, une procédure sur invitation d’au moins trois soumissionnaires devrait être organisée. Et dès 250 000 francs, il faut une procédure ouverte avec la publication d’un appel d’offres sur la plateforme Simap et dans la FAO.