Soudain, au cœur d’une semaine passée qui battait très fort, l’esprit peut-être en surchauffe par le truchement béni de tant d’émois, on a vu un drôle de tableau se dessiner dans le ciel de Paris tandis qu’au loin, la Tour Eiffel se transformait en poireau.
Pardon? Un os rayon posologie, docteur? Non, juste une façon différente de saluer l’inénarrable chapitre du surréalisme vaudois qui s’est écrit ce printemps à Roland-Garros. Timea Bacsinszky à la plume, Stan Wawrinka au pinceau et nous, on ne peut que lancer des sombreros en l’air devant l’heureux constat: Pays de Vaud, terre sainte du tennis.
Des raisons de sourire
Avant de célébrer deux destins ultra inspirants, revenons à ce fantasme absolu, qui pointa le bout de son nez jeudi dernier, en fin d’après-midi. Timea Bacsinszky et les microbes faisaient vaciller la reine Serena Williams, la Lausannoise entrevoyait la finale et nous, sachant que personne ne stopperait «Stanimal» dans le tableau masculin, on a sérieusement imaginé que deux Vaudois remporteraient de concert le tournoi le plus exigeant du monde - autant dire qu’à partir de là, tante Marcelle, qui claudique allègrement sur ses 83 balais, peut battre demain matin le record d’Usain Bolt sur 100 mètres.
Oui, sans rire, d’ailleurs on peut fournir le portable des témoins à la justice, on les voyait déjà inaugurer le bal des vainqueurs: Bacsinszky dans sa robe bleu roi, Wawrinka dans son short de plagiste, et le monde entier pour les acclamer.
Lui est allé au bout du rêve parisien, comme à l’Open d’Australie ou en Coupe Davis l’an passé; pour elle, finalement vaincue par la rouerie et la puissance adverses, tout s’est terminé dans les larmes. Mais lundi, à l’heure de souffler ses 26 bougies, nul doute que la femme devenue championne avait retrouvé une flopée d’excellentes raisons de sourire à l’existence - elle en a fait l’une de ses spécialités.
Son explosion au plus haut niveau (elle est désormais 15e mondiale), qui s’opère après tant de troubles, de luttes et de blessures, relève du conte de fées; et la demoiselle traverse tout ça avec un naturel, un enthousiasme confondant. Et contagieux.
A l’écart du système
Timea Bacsinszky et Stan Wawrinka nous font rêver, au point de voir des poireaux pousser où ils ne devraient pas. Davantage que le glorieux accomplissement, c’est le chemin, à la fois si tortueux et évident, qui fascine. Ils nous font rêver très fort, parce qu’ils sont devenus grands petit-à-petit - et ce n’est pas fini.
Parce qu’ils ont su affronter leurs doutes, repousser leurs limites - jusqu’où encore? - et vaincre leurs impossibilités. Parce qu’ils ont fait de leurs failles des forces, parce que les fêlés possèdent cette capacité à laisser passer la lumière par où on ne l’attend pas.
Timea Bacsinszky et Stan Wawrinka ne sont pas les fruits formatés, chouchoutés d’un système fédéral. Ce sont deux pousses qui, à quelques kilomètres et quelques années d’écart, en suivant les méandres de leur propre histoire, se sont accrochées, ont grimpé et grimpé encore, puis fini par défoncer les plafonds de l’(in)imaginable tout en gardant les pieds sur terre.
Ils ont réussi au-delà de toute espérance, y compris les leurs. Ils sont devenus eux-mêmes en allant gratter au plus profond. Ils n’ont jamais cherché à séduire et les voilà définitivement implantés dans nos cœurs.