Au centre-ville de Lausanne, la guerre des terrasses reprend de plus belle

ESPACE PUBLIC • En application de la loi cantonale, la Ville fait systématiquement fermer les petites terrasses de magasins qui ne disposent pas d’une licence de restaurant. Au Pré-du-Marché, une pétition a regroupé 450 signatures pour sauver celle du magasin «A côté de la Plaque».

  • Une enseigne très appréciée qui exploite neuf tables à l’intérieur. En médaillon son patron, Gonzalo Amaya. MANEL SANTISO

    Une enseigne très appréciée qui exploite neuf tables à l’intérieur. MANEL SANTISO

450 signatures. Et le nombre de paraphes ne cesse d’augmenter pour cette pétition qui ressemble à un cri du cœur. Il faut dire que le voisinage y est très attaché, à ce mini tea-room hors norme installé dans la boutique «A côté de la plaque» située à la rue Pré-du-Marché, et fondée et gérée par un personnage haut en couleurs, Gonzalo Amaya.

«Montesquieu ferait remarquer qu’il y a la loi, mais aussi l’esprit de la loi, nous écrit avec ironie un lecteur aussi cultivé que courroucé. Imaginez le plaisir de piétons qui parcourent le Pré-du-Marché. Une enseigne «A côté de la plaque» attire le regard avec, collée sur la vitrine, une affichette: «Terrasse fermée». Le lieu de restauration de neuf places assises autorisées, a eu l’audace de laisser fleurir, pour accueillir le printemps, deux tables et trois chaises. Quel crime horrible contre la loi »…

Le mois dernier en effet, Gonzalo Amaya recevait une injonction du Service de l’économie de la Ville: «Nos inspecteurs ont constaté que du mobilier de terrasse, constitué de deux tables et trois chaises, était présent devant votre commerce (…) peut-on y lire. Nous vous prions de régulariser la situation de votre magasin traiteur en retirant votre mobilier (…) sans délai». Du reste, comme «A côté de la plaque», les petits patrons à avoir reçu une injonction similaire, certains même avec une virée de la police pour rendre la décision exécutoire, sont nombreux à Lausanne.

Autorisation refusée

«Nous avons en effet placé deux petites tables collées contre notre vitrine et qui n’empiétaient même pas sur l’espace public, admet Gonzalo Amaya. Aujourd’hui je les ai donc retirées, mais il faut savoir que dans une rue piétonne comme celle-ci, ne pas avoir de terrasse revient à disparaître aux yeux de la clientèle. J’ai demandé une autorisation à la Ville, mais elle a été refusée.» Et pour cause: la loi est en effet très claire: «la réglementation qui permet aux magasins d'accueillir jusqu'à 9 personnes sans vente d'alcool relève du droit cantonal et de la loi sur les auberges et les débits de boissons (LADB). Les magasins sont autorisés à recevoir jusqu'à 9 personnes à l'intérieur (assises et/ou debout), mais en accord avec GastroLausanne, GastroVaud et la Fondation pour le commerce lausannois, l'installation de tables et de chaises ni l'accueil de clients à l'extérieur n’est pas autorisée, explique David Rodriguez conseiller en communication à la Direction de l’économie de la Ville. Cette mesure vise à ne pas engendrer des nuisances supplémentaires pour les riverains et à maintenir l'équité envers les établissements au bénéfice d’une licence comme les restaurants».

En clair, si «A côté de la plaque» veut pouvoir maintenir ses deux petites tables à l’extérieur, il lui faut obtenir une licence. Un investissement impensable pour Gonzalo Amaya: «Pour changer l’affectation de mon mini tea-room, il me faut prévoir un circuit d’aération, des toilettes pour hommes et pour femmes et un accès aux personnes handicapées. Soit un total de 70'000 francs de travaux, alors que je ne prévois même pas d’installer une cuisine. Juste pour deux tables minuscules, cela fait quand même très cher. Si la législation n’est pas changée, c’est la mort assurée à court ou long terme pour ce genre de petites entreprises». Pour rappel, Lausanne compte actuellement 604 terrasses extérieures autorisées.

Concurrence déloyale? L'éditorial de Charaf Abdessemed

C’est une loi cantonale mais nul doute que la Ville l’applique avec un zèle que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Selon la loi sur les auberges et les débits de boisson en effet, les magasins peuvent accueillir jusqu’à 9 personnes pour des petites consommations, sans vente d’alcool. Une manière de les rendre un peu plus conviviaux mais aussi d’arrondir leurs fins de mois, pas toujours faciles. Avec ce régime-là en revanche, pas question pour eux d’installer des petites terrasses extérieures, au risque de se voir vertement rappeler la loi (lire notre article en page 5). En cause, une volonté d’éviter «une concurrence déloyale» avec les restaurants et cafés qui eux, disposent d’une licence et d’autorisations en bonne et due forme, et qui soutenus par leurs puissantes associations faîtières souhaitent plus que tout préserver leurs parts de marché.

Reste qu’il est légitime de se demander si les conditions d’une concurrence loyale sont réunies, compte tenu du fait que ces petits lieux représentent des îlots de lien social au cœur de nos quartiers, ne vendent pas d’alcool et sont soumis à des horaires restreints. Est-il en outre légitime de leur exiger d’obtenir une licence complète, avec de lourdes implications logistiques et financières, afin de pouvoir simplement disposer deux ou trois petites tables en terrasse, au moment où l’on cherche à piétonniser et humaniser au maximum nos espaces publics? Cette loi date de 20 ans. Elle ne tient pas compte de l’évolution de nos modes de consommation ni de l’évolution de nos espaces publics et devrait faire l’objet d’un toilettage. D’autant qu’au-delà du cadre règlementaire, une concurrence saine et loyale devrait d’abord reposer sur la qualité du service et de l’accueil offert à la clientèle.