En 1906, les facultés médicales suisses comptaient près de 70% de femmes

L’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL lance une recherche pour revaloriser des parcours de femmes médecins en Suisse. Méconnu, leur apport est loin d’avoir été anodin.

« La quasi-totalité des premières femmes médecins au monde avant la Première guerre mondiale ont été formées prioritairement en Suisse, puis en France, explique la Dre Aude Fauvel. À la fin du 19e siècle, les femmes ont voulu s’inscrire en médecine, car elles pensaient qu’elles y seraient mieux acceptées. Dans les préjugés de l’époque, il était en effet considéré que c’était dans leur nature de prendre soin des autres. Mais les femmes se sont trompées, les universités les ont rejetées sauf en Suisse et en France. »

Historienne de la médecine à l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL, la Dre Aude Fauvel ambitionne d’explorer ce pan méconnu de l’histoire suisse avec son projet de recherche: « La médecine féminine. Une histoire des premières femmes médecins et de leur contribution à l’innovation médicale entre la Suisse francophone et la France, 1867-1939 »

France et Suisse, pionnières

Le projet qui a démarré le 1er septembre pour une durée de quatre ans et soutenu par le Fonds National Suisse, a pour objectif d’analyser la contribution des femmes médecins à l’innovation en santé. « Les premières femmes médecins ont contribué à renouveler la vision qu’on avait alors du sexe faible. Des manuels de santé écrits par et pour les femmes parlant du corps et de la sexualité sont publiés et connaissent un réel succès à l’époque », souligne la Dre Fauvel. Ainsi, dès les années 1860, la Suisse et la France ont été les premiers pays au monde à ouvrir les portes de leurs universités aux femmes.

Leur apport dans les domaines de l’ophtalmologie et la chirurgie, notamment, est également peu connu. Un réseau très actif de femmes ophtalmologues s’est établi entre la Suisse et la France au début du 20e siècle. « Pourtant, bien que Jules Gonin, entre autres, ait reconnu leur rôle clé pour le développement de l’ophtalmologie contemporaine, elles sont aujourd’hui oubliées, note Aude Fauvel. De même, peu de gens savent que la toute première femme urologue au monde, Vera Guedroytz de Beloseroff, a été une disciple de César Roux. Et ce ne sont là encore que quelques exemples : l’ensemble des contributions apportées par les femmes à la chirurgie et à la médecine reste à découvrir. »

"Médecine féminine"

Le terme de médecine féminine émerge à ce moment : face à des pays comme l’Allemagne qui s’oppose à accueillir des étudiantes sous prétexte que les femmes n’ont pas les capacités nécessaires, la Suisse et la France s'enorgueillissent à la Belle Epoque d’être des nations « féministes ». En 1906, les facultés médicales helvétiques comptent près de 70% de femmes. La Suisse accueille alors plus d’étudiantes en médecine que l’intégralité du reste de l’Europe. Tout change cependant durant l’entre-deux-guerres, puis la tendance s’inverse. Après la Seconde Guerre mondiale, les Facultés de médecine suisses ont perdu leur avance, les femmes n’y sont, désormais, ni plus nombreuses ni mieux traitées qu’ailleurs.