A Lausanne, chronique d’une précarité devenue terriblement ordinaire

PRÉCARITÉ • Les distributions de colis alimentaires pour les plus démunis sont prises d’assaut à Lausanne. Au Point d’appui, ce sont ainsi 300 paquets qui sont distribués chaque mercredi, non sans tensions.

  • Dès 9 heures, les premiers bénéficiaires arrivent. La distribution ne commence qu’à 15 heures.  VERISSIMO

    Dès 9 heures, les premiers bénéficiaires arrivent. La distribution ne commence qu’à 15 heures. VERISSIMO

En 2020, les Romands découvraient effarés, ces incroyables images diffusées par la RTS: d’interminables files d’attente de personnes qui à Genève, faisaient patiemment la queue pour prendre possession de colis alimentaires. Cette précarité désormais visible au vu et au su de tout le monde, existe aussi à Lausanne où les opérations de distribution alimentaire connaissent encore aujourd’hui, un «succès» croissant.

C’est ainsi le cas de la distribution organisée chaque mercredi à 15 heures à l’église Saint-Jacques de Lausanne, par le Point d’appui, un lieu d’accueil ouvert il y a une vingtaine d’années par des deux Eglises reconnues du canton de Vaud, l’Eglise évangélique réformée et l’Eglise catholique, et principalement destiné aux personnes issues de la migration.

Dès 9 heures…

Chaque mercredi en effet, des migrants y prennent leurs quartiers dès 9 heures du matin, dans l’attente d’une distribution qui ne commencera qu’à… 15 heures. Avec au final, une file d’attente de près de 300 personnes qui, malgré l’organisation sous forme de numéros distribués à l’avance, cachent mal leur impatience, avec de nombreuses tensions et incivilités à la clé.

Selon les témoignages recueillis, et afin d’éviter les abus, deux files, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes ont même dû parfois être organisées, tandis que les bénévoles doivent régulièrement déployer des trésors de patience pour contenir l’agressivité et les pulsions de certains bénéficiaires.

Du tact et du talent pour gérer les tensions

«Dès qu’il s’agit de besoins alimentaires, explique Martine Floret, médiatrice au Point d’appui, des réflexes humains basiques s’expriment. Pourtant, nous expliquons bien aux bénéficiaires que quel que soit leur numéro, 1 ou 300 ils auront leur colis, ceux-ci étant préparés à l’avance par nos bénévoles».

Roberto de Col, responsable du département Solidarité de l’Eglise catholique vaudoise, tient quant à lui à préciser: «Organiser une distribution avec 300 personnes est toujours un défi. Mais les équipes de bénévoles, encadrées par des professionnels, gèrent avec beaucoup de tact et de talent les tensions qui peuvent surgir. Le but étant toujours de s’ajuster pour que tout se déroule dans la dignité.» Et Martine Floret de renchérir: «C’est vrai, gérer un tel afflux demande beaucoup de sang-froid de la part de notre équipe, mais ce phénomène s’observe dans toutes les opérations de distribution, aussi bien à Lausanne qu’à Renens, car ces dernières années, elles sont de plus en plus sollicitées.»

Cette explosion de la demande est pour l’essentiel liée à deux causes principales: «L’augmentation actuellement observée a commencé avec la crise du Covid et s’est clairement poursuivie avec les différentes crises, dont la guerre en Ukraine explique Roberto de Col. A Saint-Jacques, ce sont toutes les personnes qui touchent un revenu inférieur au Revenu d’insertion qui peuvent bénéficier de cornets alimentaires». Au Point d’appui, on est ainsi passé de quelque 180 colis à 300, distribués chaque mercredi, un volume qui ne suffit d’ailleurs largement pas à répondre à la demande.

«Une précarité qui se voit», l'éditorial de Fabio Bonavita

Ce sont des scènes que l’on pensait réservées aux pays en voie de développement et pourtant elles se déroulent chaque semaine à l’avenue du Léman, en plein centre-ville de Lausanne. Tous les mercredis, plusieurs centaines de personnes se pressent religieusement aux abords de l’église Saint-Jacques avec l’espoir de repartir avec un sac de produits alimentaires de première nécessité. Des pâtes, du riz, des conserves, de l’huile ou encore du sucre.

Face à l’affluence croissante, les deux églises qui gèrent ce «point d’appui» doivent multiplier le nombre de bénévoles et les mesures visant à sécuriser leur distribution hebdomadaire (lire en page 5). Elles confient aussi leurs craintes de voir la précarité s’envoler depuis quelques mois. Ce constat, l’ensemble des organisations de bienfaisance le partagent. Qu’il s’agisse des Cartons du Cœur, du Centre social protestant ou de Caritas. Toutes affirment en chœur que la pandémie de Covid et surtout l’inflation galopante conduisent de nombreux Lausannois à se tourner vers des centres de distribution alimentaire.

Cette réalité ne se retrouve pourtant pas dans les chiffres officiels. Le taux de chômage vaudois stagne à 3,2% et les demandes d’aide sociale sont en baisse. Ce paradoxe ne doit pas faire oublier que de nombreux ménages peinent à joindre les deux bouts. Pour les soutenir, une seule solution: combler les trous des dispositifs sociaux destinés à ceux qui ne peuvent plus se rendre dans un supermarché pour manger à leur faim. Le Canton semble l’avoir compris, puisqu’il vient de lancer «Vaud pour vous», un programme destiné à mieux accompagner les Vaudois qui ont besoin d'une aide sociale. Un premier pas dans la bonne direction…