Polémique sur la rue Louis-Agassiz: «un texte inacceptable en l’état!»

La Municipalité ne veut pas débaptiser la rue du nom du raciste Louis-Agassiz, mais y apposer un texte explicatif. L’historien Hans Fässler, qui a longtemps milité pour faire connaitre le passé raciste du scientifique vaudois, critique le projet de texte dans sa version actuelle.

  • Louis-Agassiz, inspirateur de nombreuses idéologies racistes possède une rue à son nom à Lausanne. En médaillon l’historien Hans Fässler. DR

    Louis-Agassiz, inspirateur de nombreuses idéologies racistes possède une rue à son nom à Lausanne. En médaillon l’historien Hans Fässler. DR

Vous avez pris connaissance du projet de panneau explicatif que la Municipalité entend apposer à l’avenue Louis-Agassiz. Pourquoi celui-ci suscite-il de sérieuses réserves de votre part?

Sur le principe, contextualiser un endroit nommé d’après une personne avec un passé funeste est une possibilité. Sauf que le texte d’un panneau d’information doit être rédigé correctement, et selon les connaissances scientifiques actuelles, ce qui n’est pas le cas.

Vous récusez le fait que Louis Agassiz soit présenté comme un «grand savant du XIXe siècle»...

Il n’était rien de tout cela. Car ses théories (créationnisme, catastrophisme) relèvent plutôt de la religion que de la science. C’est seulement son apport à l’ichtyologie (étude des poissons, ndlr) qui est incontestable et ses apports en termes de vulgarisation scientifique, d’organisation d’expéditions et la création d’institutions comme des musées. Sa renommée de glaciologue, en revanche, est surtout fondée sur la diffusion de la théorie des glaciations empruntée à d’autres, ce qui lui a valu des accusations de plagiat.

Le texte précise que malgré ses idées Agassiz était «opposé à l’esclavagisme» aux Etats-Unis...

C’est une insulte flagrante à tous ceux qui se sont vraiment opposés à l’esclavage dans les années 1846-1863. Agassiz a mis en doute l’appartenance des Noirs à l’espèce humaine, a exprimé un dégoût profond envers les Noirs, a visité les plantations de ses amis esclavagistes où il a étudié les esclaves, les a fait photographier nu(e)s et a utilisé ces images pour démontrer l’infériorité́ des Noirs et défendre le polygénisme qui veut que Blancs et Noirs aient été créés séparément par Dieu. Ce n’est qu’en 1863, lorsque l’abolition de l’esclavage était prévisible et décidée depuis longtemps, qu’il s’est exprimé en quelques phrases dans des lettres adressées à Howe, avec l’idée d’ailleurs d’éviter à tout prix le métissage racial.

Au final, ce projet de texte est donc pour vous totalement inadéquat…

Oui, je suggère à la Municipalité de Lausanne de retirer ce projet et de procéder à une révision en profondeur, pour éviter toutes les erreurs historiques et politiques majeures qui y figurent. Ce texte doit être équilibré entre les mérites qui sont traditionnellement attribués à Agassiz et les informations longtemps ignorées sur lui, son racisme capital. Car il était le plus important «raciste scientifique» du XIXe siècle et des éléments de sa pensée influencèrent plus tard les eugénistes, les admirateurs de Mussolini, les partisans nazis de «l’hygiène raciale» ou encore les activistes du Ku Klux Klan. Dans le texte proposé, la proportion entre les informations sur l’importance «scientifique» qu’on lui attribue et son racisme évident est de 10 pour 1 environ. Ceci est inacceptable.