«Le sida n’est
plus une priorité politique»
Sandrine Bonnet, présidente de la Fondaction Sid’Action
Une bataille décisive a été gagnée, mais pas la guerre. En termes de VIH, l’arrivée des trithérapies il y a une vingtaine d’années a fondamentalement changé la donne, sauvant la vie de millions de personnes jusque-là condamnées à mort et qui aujourd’hui vivent à peu près normalement. Seulement voilà: si la situation est infiniment meilleure qu’avant, rien n’est gagné pour autant. L’année dernière en effet, 542 nouveaux cas de VIH ont été enregistrés en Suisse, 76 dans le canton de Vaud, un des plus touchés en raison de son caractère urbain. «Ces chiffres ne sont pas très rassurants, car d’année en année, le nombre de nouvelles infections reste stable et ne diminue pas», estime Sandrine Bonnet, directrice de la Fondation Sid’Action, à Lausanne.
Nouveaux profils de malades
En cause: la multiplication des rapports à risques, alors que de plus en plus de personnes pensent que le problème du HIV est réglé. Si dans le canton, la majorité des nouveaux cas concernent toujours au premier chef les homosexuels, les professionnelles du sexe et les migrants, de nouveaux profils de personnes infectées voient ainsi le jour, faisant apparaître une nouvelle réalité du HIV. «On observe pas mal de nouvelles infections chez les plus de 50 ans, note Sandrine Bonnet. Ce sont souvent des personnes qui ont eu une première vie sexuelle en couple et qui, devenues célibataires, ont tendance à ne pas se protéger. Il y a aussi le cas de personnes qui ne se sont pas protégées lors d’un rapport hétérosexuel et qui ne sont pas tombées sur la bonne personne, ou celles dont le compagnon a été infidèle avec une prostituée. Le sida n’est clairement plus aujourd’hui une maladie de ghetto comme elle a pu l’être au début de l’épidémie».
Le maintien de l’épidémie à un niveau stable trouve son origine non seulement dans le maintien de comportements sexuels à risques, alors que le sida reste une maladie incurable (voir encadré) mais aussi dans une diminution de l’effort public dans les actions de prévention. «Le sida n’est plus une priorité politique au profit de nouvelles modes, comme le développement durable ou les questions de genre, déplore Sandrine Bonnet. Tout simplement parce que nous ne sommes plus dans l’urgence du début de l’épidémie. La réalité politique d’aujourd’hui n’est donc clairement plus en faveur de politiques de prévention sur le long terme, en particulier en milieu scolaire par la sensibilisation des plus jeunes.»
Nouvelles infections stables, désinvestissement de la prévention, mais aussi misère sociale et psychologique. Car la troisième réalité du HIV aujourd’hui, est que les malades vivent toujours dans une semi-clandestinité sociale.
Maladie cachée
«Je suis séropositif indétectable depuis plus de 10 ans, explique Jeremy, un quadragénaire lausannois qui a souhaité être identifié par un prénom d’emprunt. J’ai une vie sociale et professionnelle normale, mais il ne me viendrait pas à l’idée de révéler à quiconque que je suis infecté par le virus. Je n’ai aucune envie d’être ostracisé ou qu’on me dise que c’est bien fait pour moi, comme j’ai pu l’entendre au tout début».
«C’est vrai confirme une assistante sociale. L’acceptation sociale du HIV n’a malheureusement pas beaucoup progressé, et ce quand bien même les traitements ont permis aux patients de vivre tout à fait normalement, avec une charge virale indétectable. Ce qui montre qu’il reste encore beaucoup à faire et qu’il faut redoubler d’efforts dans des campagnes de sensibilisation du grand public ».