Docteur, je veux un beau pénis…

TENDANCE • Mutilation pour les uns, acte religieux pour les autres, la circoncision a de plus en plus le vent en poupe auprès des jeunes Vaudois, pour des raisons… esthétiques. Enquête sur une pratique emblématique d’une profonde évolution sociétale.

«Ce phénomène est lié à un changement profond des mentalités dans la société» Dr Alain Bitton, urologue et andrologue

C’est peut-être un tabou qui est en train de sauter. Un tabou fort qui de longue date suscite des controverses, au point que même le CHUV, contacté par nos soins, n’a pas souhaité s’exprimer là-dessus. Jusqu’à présent prescrite dans un strict cadre médical et tolérée du bout des lèvres pour des raisons religieuses, la circoncision est semble-t-il en train de changer de statut dans notre société. De plus en plus de jeunes en effet souhaitent se faire circoncire pour des questions… esthétiques. «Toutes les filles aujourd’hui préfèrent un pénis circoncis, lance sans tabous Julien*, un jeune Lausannois de 19 ans, qui vient de franchir le pas. Ma copine a été hyper heureuse que je le fasse, elle a trouvé que c’est plus hygiénique et plus agréable pour elle, en particulier en cas de rapport buccal.»

Sans que le phénomène ne soit documenté par des études, il suffit de parcourir les réseaux sociaux, en particulier l’incontournable TikTok, pour comprendre l’engouement que suscite la pratique, tant le hashtag «circoncision» y fait un tabac. «Moi, les garçons non circoncis, c’est poubelle» lance ainsi une naïade aux faux cils longs comme le bras. «Pas de fellation sans circoncision», ajoute une autre, parmi des dizaines de témoignages.

Pénis plus beau

«On en parle beaucoup entre jeunes et les discussions sont souvent rabaissantes pour les garçons non circoncis, ajoute Julien, un jeune Lausannois. Moi, je l’ai fait pour plusieurs raisons: l’hygiène qui est tout de même bien plus facile, mais aussi l’esthétique parce qu’on ne va pas se mentir, un pénis est plus beau quand le gland est toujours dehors».

Pour rappel, la circoncision, pratique ancestrale dans les cultes juif et musulman et couramment pratiquée dans des pays comme les Etats-Unis, consiste en l’ablation chirurgicale sous anesthésie du prépuce, ce repli de peau qui recouvre le gland.

En règle générale, en dehors des motifs religieux, ou donc esthétiques désormais, elle est indiquée pour des raisons médicales, lorsque le prépuce est trop serré - ce que les médecins appellent un phimosis -, rendant l’hygiène et l’excrétion urinaire plus difficiles, et les rapports sexuels douloureux. C’est du reste, le principal cas où les assurances maladies entrent en matière pour rembourser cette chirurgie, courante, mais qui n’est toutefois pas anodine.

«Aucun acte chirugical n’est anodin, explique l’urologue lausannois Marc Wisard, auteur de l’article «La circoncision: une banalité?» paru dans la Revue médicale suisse en 2012. La circoncision, même si c’est rare, peut engendrer des complications, comme des saignements, des hématomes, des infections, des cicatrices disgracieuses ou des problèmes de sensibilité. Il faut à chaque fois peser son bien-fondé selon des critères médicaux et faire la différence entre les personnes qui en tirent un véritable bénéfice médical et les autres».

Comment dans ce contexte, expliquer les demandes récurrentes de circoncisions à visée esthétique? «Ce phénomène est lié à un changement profond des mentalités dans la société observe le Dr Alain Bitton, chirurgien urologue et andrologue qui, dans son cabinet genevois pratique des circoncisions à tous les âges. Afficher symboliquement son corps devient un moyen d’exister, de se positionner et l’aspect esthétique se place désormais au centre des préoccupations des hommes: on s’épile, on fait du fitness, on veut un corps beau et présentable et même un beau pénis, comme certaines femmes veulent de jolis seins ou de belles fesses. Evidemment, cette recherche de perfection qui touche beaucoup de jeunes de 18 à 25 ans, est dangereuse car on devient perpétuellement insatisfait.»

Reconstruction...

Cette insatisfaction est en tout cas, si l’on ose dire, à double tranchant. Toujours sur les réseaux sociaux, il est possible de trouver des jeunes passés par la case circoncision en recherche d’une chirurgie de… reconstruction du prépuce. *prénom fictif, identité connue de la rédaction

Des avantages médicaux

Une chose est sûre: alors qu’en moyenne 2 % des circoncisions chez l’adulte sont suivies de complications médicales, cette pratique, effectuée dans l’immense majorité des cas pour des raisons religieuses, présente un avantage: le risque de contracter une infection sexuellement transmissible ou une infection à VIH s’en trouve considérablement réduit, aussi bien pour les hommes que pour leurs partenaires. Au point que de nombreux pays d’Afrique en ont fait un des axes privilégiés de leur lutte contre la propagation du sida. En outre, l’ablation du prépuce limite également le risque de survenue de cancer de la verge. Si d’une manière générale, la circoncision rend plus facile l’hygiène du pénis, elle n’en est pas un prérequis obligatoire: il est tout à fait possible de procéder à une hygiène intime de qualité en conservant son prépuce.