Prix bas et livraison rapide, la recette 
à succès des restos fantômes lausannois

TENDANCE • Surfant sur la démocratisation post-Covid de la livraison de repas à domicile, ces cuisines fantômes se multiplient dans la capitale vaudoise. Leurs particularités? Pas de serveurs, des horaires d’ouverture réduits, aucune devanture et donc des tarifs imbattables. 

  • Selon nos informations, une trentaine d’entrepreneurs se sont lancés dans le business de la «ghost kitchen» à Lausanne. photos 123rf/dr

«Il n’y a pas plus de risques sanitaires dans une ghost kitchen»
Christian Richard, chimiste cantonal vaudois

Râmen Ta Fraise, Asian Time, Yummy Tacos ou encore The Burrito Club, sur les plateformes de livraison tels Uber Eats ou Just Eat, ces enseignes situées dans l’hypercentre lausannois ressemblent à s’y méprendre à de véritables restaurants avec leurs photos de plats alléchants soigneusement dressés. Ce que les consommateurs ignorent souvent, c’est que ces établissements sont en réalité des ghost kitchens, en d’autres termes de simples cuisines sans salle ni serveur ni clients sur place. Ce nouveau modèle économique né des mesures sanitaires imposées durant la pandémie connaît un succès sans précédent comme nous le confirme Uber Eats: «Les restaurants virtuels impliquent des coûts de démarrage et de développement très faibles. Les restaurateurs peuvent donc tester et expérimenter facilement avec leur menu, en se basant sur les avis et les commentaires des utilisateurs pour proposer les meilleurs repas possibles. C'est une excellente façon pour un petit restaurateur de faire croître progressivement son activité, sans prises de risque majeure. Par conséquent, nous constatons un nombre croissant de ghost kitchens sur notre application à Lausanne.»
Pas toujours plus rentable
Un constat partagé par Petar Djordjevic, porte-parole chez Just Eat: «Nous avons observé cette tendance depuis la pandémie. C'est là que nous avons reçu les premières demandes de renseignement sur le concept de ghost kitchen. Depuis, la tendance ne cesse de croître.» A tel point que, selon nos informations et pour la seule capitale vaudoise, ils seraient près d’une trentaine d’entrepreneurs à s’être lancés dans ce nouveau business. Des entrepreneurs qui préfèrent souvent rester discrets car le modèle de la cuisine fantôme comporte des préjugés dont certains préfèrent ne pas faire étalage: des employés précarisés, des cuisines sombres situées au sous-sol et une hygiène sujette à caution.
Pour en avoir le cœur net, nous nous sommes rendus aux abords de l’une d’entre elles qui regroupe trois concepts à l’avenue d’Echallens: Râmen Ta Fraise, Asian Time, Yummy Tacos. Sur place, pas la moindre trace d’une casserole ou d’un cuisiner en plein rush, nous nous retrouvons face à la porte close d’un banal immeuble résidentiel. Contacté au téléphone, le gérant de ces trois enseignes fait preuve d’une certaine méfiance: «Je préfère rester anonyme et ne pas trop m’exprimer sur le sujet. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nos repas sont réalisés au sein de notre laboratoire et que nous respectons des normes d’hygiène particulièrement strictes.» S’est-il lancé pour des raisons de rentabilité? «Non, pas vraiment. Les services de livraison nous prennent une bonne partie de notre marge et nous devons aussi gérer les retours de la clientèle lorsqu’un livreur n’a pas fait correctement son travail, ce sur quoi nous n’avons aucune prise. Donc on ne gagne pas forcément plus d’argent avec un restaurant fantôme.»
Mêmes exigences sanitaires
Après moult négociations, nous avons finalement pu nous rendre dans une autre cuisine industrielle située à proximité du Flon et qui vend ses mets uniquement sur Uber Eats. Et force est de constater que l’hygiène n’a rien à envier à un établissement classique: plans de travail régulièrement nettoyés, cuisiniers munis de gants et produits à la fraîcheur évidente ne laissent planer aucun doute. Ce qui fait sourire le responsable: «Les gens pensent que c’est crade par ce que nous n’avons pas pignon sur rue, ils se trompent lourdement. Nous sommes autant contrôlés qu’un restaurant, si ce n’est plus.» Contacté, le chimiste cantonal vaudois Christian Richard confirme que les exigences sont les mêmes. Avant de nuancer: «Tout établissement en lien avec des denrées alimentaires a l’obligation de s’annoncer à notre Office, conformément à l’Ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels. Il n’y a par ailleurs pas plus de risques sanitaires dans une ghost kitchen que dans un établissement ordinaire, pour autant que cette cuisine soit annoncée chez nous et donc soumise à nos contrôles à une fréquence minimale de deux ans.»
Statu quo pour les plateformes
Rebecca Eggenberger, responsable alimentation au sein de la Fédération romande des consommateurs (FRC) y voit une faille: «Ces cuisines ne sont pas toujours annoncées auprès des chimistes cantonaux. Elles échappent dès lors aux contrôles et ne répondent pas toujours aux exigences posées par le droit alimentaire, dont le but premier est la protection de la santé du consommateur.» Dès lors, pour plus de transparence, les cuisines fantômes ne devraient-elles pas être identifiables sur les plateformes de livraison? «La seule différence entre une ghost kitchen et un restaurant ordinaire est la possibilité de manger sur place, rappelle Petar Djordjevic de Just Eat. Nous ne voyons donc pas la nécessité d'étiqueter la ghost kitchen en tant que telle.» D’autant que, malgré une image parfois encore un peu sulfureuse, ces restos virtuels cartonnent auprès des consommateurs. Ceci grâce à trois atouts: des prix inférieurs à la concurrence, une offre abondante grâce à la multiplication de leurs concepts et une livraison éclair. De quoi leur assurer un avenir tout tracé en terres lausannoises…

 

Une entreprise lausannoise a décidé de faire cavalier seul

Lancé en 2021, All Cook se présente comme le premier service suisse de livraison de repas sains préparés par des chefs. Son autre particularité est d’avoir fait l’impasse sur les principales plateformes de livraison: «Nous livrons nous-mêmes les repas que nous préparons dans notre cuisine, précise sa directrice Sacha Thorey. Nos clients peuvent commander sur notre site aussi souvent qu'ils le souhaitent et à des prix abordables, à savoir 30 à 60% moins chers que sur les autres plateformes de livraison de repas. Si nous pouvons offrir cette qualité de service, c'est parce que nous travaillons sur la base d'un abonnement flexible, sans produire de déchets alimentaires. Nos clients programment leur semaine, et nous cuisinons précisément ce dont ils ont besoin.» Un modèle différent qui semble avoir trouvé son public puisque la société lausannoise affirme connaître une croissance à deux chiffres depuis son lancement. Pour y parvenir, elle cible prioritairement les travailleurs pressés et les familles avec enfants qui n’ont plus forcément le temps de se mettre derrière les fourneaux.