Regarder du X réussit mieux aux femmes

SOCIETE • Plus les hommes regardent de la pornographie, plus leur vie sexuelle se détériore. C’est tout l’inverse pour les femmes, selon le résultat d’une récente étude. Explications avec son auteur, le chercheur en psychologie sociale Nicolas Sommet.

S’ils ne sont pas réputés pour la qualité de leurs scénarios, les contenus pornographiques, dont la grande majorité sont imaginés par des hommes pour des hommes, produisent sur ceux et celles qui les regardent un effet pour le moins contre-intuitif. La consommation de la pornographie est associée à une dégradation de la qualité de la vie sexuelle des hommes, alors qu’elle améliore celle des femmes. C’est ce que révèlent les troublantes conclusions d’une publication récente du Centre LIVES, basé à l’UNIL et à l’Université de Genève. «Nous avons été un peu surpris, c’est vrai, admet Nicolas Sommet, chercheur en psychologie sociale et co-auteur de l’étude. Nous cherchions à évaluer l’impact de l’usage de pornographie sur la vie sexuelle, mais nous ne nous attendions pas à une telle inversion.»

100’000 jeunes gens interrogés

Pas d’ambiguïté pourtant, les résultats sont solides. Les données ont été recueillies via un questionnaire sur un échantillon de départ très large: plus de 100’000 jeunes gens (lire l’encadré). «La force de notre recherche réside aussi dans le fait qu’il s’agit d’une étude menée sur la durée», précise Nicolas Sommet. Le chercheur a suivi les participantes et participants durant trois ans, avec au final, des résultats limpides. Plus les hommes consomment de pornographie, ou plus leur consommation augmente dans le temps, moins ils se sentent à la hauteur sexuellement, plus ils signalent des problèmes fonctionnels (des troubles de l’érection par exemple) et moins leur partenaire se dit satisfaite sexuellement. Chez les femmes, c’est tout le contraire. Plus elles consomment de la pornographie ou plus leur consommation augmente dans le temps, plus elles se sentent compétentes et épanouies sexuellement, moins elles rapportent avoir des problèmes fonctionnels (difficulté à avoir un orgasme par exemple), plus leur partenaire se dit satisfait de la qualité de leurs échanges sexuels.

Ce paradoxe peut s’expliquer, selon les auteurs de l’étude. «On a tendance à l’oublier, mais la pornographie constitue souvent le premier pourvoyeur d’informations sexuelles pour des adolescents et des jeunes adultes, relève Nicolas Sommet. Elle peut leur faire découvrir des comportements, des pratiques, avoir un effet inspirant, voire même bénéfique pour leur sexualité.» Revers de la médaille, les représentations de la sexualité véhiculées par la pornographie n’ont évidemment pas que des bons côtés. «On le sait bien, elles ne reflètent pas la réalité, poursuit le chercheur. Il s’agit de représentations très fantasmées, et très fantasmées à travers le regard masculin. Ce qui peut avoir des effets négatifs en termes de comparaison sociale pour les jeunes hommes.»

Confrontés aux acteurs de X, au spectacle de leur anatomie, de leur endurance et des moues extatiques de leurs partenaires, certains risquent de trouver leur vie sexuelle bien terne. Et c’est peut-être là-dessus qu’il faut s’attarder pour comprendre une partie des résultats de cette étude. Comme le souligne Nicolas Sommet, «la littérature scientifique nous apprend que les hommes sont particulièrement sensibles à ces effets de comparaison. La pression à la performance sexuelle les occupe beaucoup».

Les femmes, elles, seraient plus imperméables aux stéréotypes, physiques notamment, véhiculés par la pornographie, qui se réduisent pourtant la plupart du temps à des représentations lourdement caricaturales et machistes. Nicolas Sommet avance, à cet égard, une autre hypothèse: «Nous n’avons pas d’éléments empiriques pour l’affirmer, mais il est probable que les jeunes femmes soient plus à même de comprendre que ces représentations de la sexualité, relayées par la pornographie, sont assez irréalistes et ne constituent donc pas forcément quelque chose de menaçant. On peut aussi en faire une interprétation un tout petit peu plus cynique. Elaborée par des hommes pour des hommes, l’imagerie pornographique est, c’est vrai, empreinte de misogynie. Pour autant, il est possible que des femmes y puisent des informations sur la façon de se comporter avec un partenaire masculin. En d’autres termes, elles s’approprieraient certains codes véhiculés par la pornographie afin de les réutiliser dans leur activité sexuelle.» Et ainsi s’adapter à ce qu’elles estiment être les attentes de leur partenaire.

Référence de l’étude: Sommet N, Berent J (2022). Porn use and men’s and women’s sexual performance: evidence from a large longitudinal sample. Source: Allez Savoir! (UNIL).

YouTube à la rescousse

Pour recruter des participants à cette étude sur la consommation de pornographie, les chercheurs ont choisi une méthode peu orthodoxe, mais parfaitement assumée. C’est vers la plate-forme YouTube qu’ils se sont tournés. Ce vivier de jeunes gens francophones, vivant en France, en Suisse ou en Belgique a permis, dans un premier temps, de recruter 100’000 participants, dont 4000 couples. A la fin de l’étude, trois ans plus tard, ils étaient encore 20’000, dont 500 couples, à répondre au questionnaire des chercheurs. «L’échantillon n’est pas représentatif de la population et c’est une des limites de l’étude, reconnaît Nicolas Sommet. En revanche, il présentait deux avantages pour nous. Une audience jeune, donc des individus qui se trouvent à un moment charnière de leur développement sexuel, et une audience très connectée. Or, on sait que la majorité des gens consomment de la pornographie par le biais d’Internet.»