Dans le sillage des rouleurs fous de Lausanne

ADRENALINE • Pendant l’été depuis 30 ans, des passionnés de sensations fortes et de pilotage «rident» la capitale vaudoise de haut en bas à rollers ou skateboard. Reportage.

  • Les meilleurs riders peuvent atteindre la vitesse vertigineuse de 120 km/h. PYTHON

    Les meilleurs riders peuvent atteindre la vitesse vertigineuse de 120 km/h. PYTHON

Il est 19h30 à l’arrêt «Croisettes» du M2. Là, la tribu des rouleurs à longboard et rollers se reforme comme chaque soir de beau temps. Ça fait 30 ans que ça dure. «Nous sommes parfois deux et d’autres fois douze. Une vingtaine pratiquent régulièrement», explique Romane Favia, 22 ans et championne du monde 2021 de roller de descente. Ce soir, ils sont dix de 25 à plus de 40 ans. Parmi eux, un livreur, un architecte, un infirmier, des étudiants ou encore un polygraphe. Au menu: six kilomètres jusqu’au lac. Les meilleurs sont capables d’avaler ces 340m de dénivelé en huit minutes, soit 11 de moins que le M2!

Culte jusqu’à l’étranger

Le «peloton» emprunte au maximum des rues peu fréquentées. Leur joie est manifeste. Dans les lacets de leurs cols alpins favoris, les meilleurs peuvent atteindre 120 km/h. Au cœur de la ville, il leur arrive de flirter avec les 85 km/h. Christian Montavon ne réfute pas le qualificatif d’ «adrénaline junky». A plus de 40 ans, ce glorieux ancien ne compte plus ses titres de champion du monde. «Lausanne est connue des riders du monde entier. C’est la station de ski du roller et du longboard», rappelle-t-il.

Dans aucune autre ville, on ne trouverait des routes si longues, avec un tel dénivelé que l’on peut remonter si facilement en transport public. Entre l’«âge d’or» des années 90, presque tout a changé mais les valeurs cardinales demeurent. «Soit l’amitié, le dépassement, la liberté mais aussi l’amour de Lausanne et évidemment un côté rebelle», résume David Lenoir, figure historique du milieu. Ce roller rebel des débuts fait un peu partie du paysage. Mais il est loin le temps où le «Woodstock du patinage» réunissait 100'000 personnes à Vidy.

Légalement, rollers, trottinettes et planches à roulettes ne peuvent pas circuler sur les routes principales à fort trafic. En pratique, les contrevenants encourent 20 francs d’amende. Dans la pratique, la tolérance est de mise. Une patrouille croisée en chemin jette ainsi un regard distrait aux riders et poursuit sa route. Piétons et automobilistes admirent les rouleurs comme on va au spectacle. «Il arrive que certains s’énervent. Ils ne réalisent pas qu’on freine aussi bien qu’un cycliste», assure un rouleur. Et effectivement, même dans une des rues les plus pentues de Lausanne, le chemin de Chandieu, les riders s’arrêtent en une poignée de mètres après une sorte de dérapage.

«Danser la ville»…

Ils carburent à la vitesse et à ce «plaisir indescriptible de surfer et danser la ville». Laquelle leur offre une centaine de variantes de descentes possibles. «Lors d’un run, tu t’appropries Lausanne, tu as l’impression qu’elle est à toi», s’enthousiasme l’étudiant en relations internationales Diego Poncelet. Les blessures sérieuses sont rares grâce au casque, aux genouillères, aux gants, à une coque dorsale parfois et à diverses autres protections. Mais les «bacons» ou autre «pizzas», à savoir des hématomes dans le jargon, sont monnaie courante. Les passages délicats sont sécurisés par un participant parti en éclaireur. Les riders ont aussi tout un langage gestuel pour se signaler en plein mouvement l’arrivée imminente d’un tournant prononcé, un arrêt à venir ou autre. En bas, les riders débriefent et refont le monde. «Un run est une quête de perfection et nos rollers sont comme un prolongement de nos corps», lâche Romane Favia avant de mettre le cap sur la station Ouchy du M2 pour une seconde descente endiablée.