Reportage au coeur de la prison du Bois-Mermet

SÉCURITÉ • Pointé du doigt par le Grand Conseil en janvier dernier, le taux d’occupation (166%) de la prison du Bois-Mermet est le symbole d’un système carcéral à l’asphyxie. Avec quelles conséquences sur les détenus? Reportage.

  • Le surveillant-chef André Badel connaît la prison comme sa poche. Il y travaille depuis plus de 30 ans. Photo Verissimo

C’est une vieille dame discrète qui ne fait pas vraiment son âge. Pour peu, on pourrait la rater si on se laisse distraire par le Stade de la Pontaise qui lui fait face, il suffit pourtant d’emprunter le chemin du Bois-Gentil jusqu’à son extrémité pour qu’elle se dévoile enfin. Au premier coup d’œil, elle fait preuve d’un classicisme assumé: une imposante porte en acier, de hauts murs d’enceinte surplombés de barbelés acérés et des rangées de caméras de vidéosurveillance. Nous nous annonçons à l’interphone, une voix nous répond: «Je vous ouvre». Premier constat, un calme olympien règne au sein de l’enceinte.
Après avoir poussé une première porte, c’est le directeur en personne, Dominique Legros (lire ci-dessous) qui nous accueille tout sourire: «Bienvenue à la prison du Bois-Mermet». Le surveillant-chef, André Badel, nous accompagnera également tout au long de la matinée. Cet homme au physique imposant connaît le centre de détention comme sa poche pour l’avoir arpenté depuis plus de 30 ans. Il nous met en garde: «Ici, on est loin des clichés sur la prison véhiculés par le cinéma. Nous pratiquons les principes de la sécurité dynamique en essayant d’instaurer un lien de confiance avec les détenus, ce n’est plus comme à l’époque où il s’agissait uniquement de punir ceux qui avaient fauté. La seule chose que je vous demande, c’est de ne pas parler de «matons» dans votre article, mais d’agents de détention.»
Va-et-vient permanent
Avertissement pris, nous voilà au cœur d’une fourmilière. Des détenus quittent leur cellule pour rejoindre des ateliers alors que d’autres rentrent d’une activité sportive ou de leur promenade. Ce va-et-vient permanent se fait avec fluidité, André Badel précise amusé: «Ils savent que nous voyons tout, donc ils sont rarement tentés de transgresser le règlement.» Au contraire, des sourires et quelques mots sont échangés entre les agents de détention et les personnes incarcérées. Nous prenons la direction d’une cellule. A l’intérieur, une odeur de cigarette se dégage de deux jeunes hommes dont le quotidien est rythmé par les émissions de télévision, les activités sportives et les promenades.
Les deux se disent satisfaits de leurs conditions de détention: «On n’a pas à se plaindre ici. Les gardiens nous respectent, le directeur aussi, donc on les respecte. Ça marche comme ça.» Sur les murs de leur cellule, des photos de chanteuses, des dessins représentant des personnages du manga Dragon Ball et une inscription «AC Milan, forza Italia». L’un des deux nous corrige: «C’est le gars d’avant qui a écrit ça sur le mur.»
Cabossés de la vie
Nos pas nous amènent ensuite au jardin potager du Bois-Mermet. Un lieu destiné aux détenus en quête d’apaisement. Encadré par un chef d’atelier, qui est aussi un agent de détention, deux d’entre eux s’attèlent, fourche à la main, à retourner la terre pour y planter des graines de légumes en vue des beaux jours. A l’opposé du potager se trouvent les terrains de sport de la prison: football, basketball, volleyball, mais aussi pétanque, s’y pratiquent à la belle saison.
Notre visite se termine par un atelier cuisine où quatre détenus, encadrés par une animatrice, préparent le repas du jour: «Aujourd’hui, ce sera un plat libanais végétarien avec des falafels, de l’halloumi et une salade feta tomates. On aime bien cet atelier car il nous permet de se changer les idées.» Et André Badel d’ajouter discrètement: «Beaucoup de cabossés de la vie atterrissent au Bois-Mermet, notre mission n’est pas d’être une usine à récidivistes, mais, au contraire, de préparer leur sortie.»

 

«Nous essayons de limiter le choc carcéral»

Nommé il y a un an à la tête de la prison du Bois-Mermet, Dominique Legros est un directeur qui se dit «progressiste» et «optimiste». Comment cela se traduit-il? Interview.  

Lausanne Cités: En janvier dernier, une commission du Grand Conseil alertait sur la surcharge des prisons vaudoises, vous n’avez pas dû être surpris…
Dominique Legros: Effectivement. Nous sommes attentifs à ces recommandations et nous essayons constamment d’améliorer la condition des personnes détenues. Cette année, nous allons poser des rideaux obscurcissants dans toutes les cellules. Le but est de garantir davantage d’intimité, mais surtout de pouvoir se protéger de la lumière du jour et donc de la chaleur durant l’été, car les fenêtres de cellule ne sont équipées ni de store ni de volet.

Votre prison peut accueillir 100 détenus, combien sont-ils aujourd’hui?
Actuellement, la prison affiche «complet» pour une capacité de 170 places. Le bâtiment a effectivement été construit pour accueillir 100 personnes, mais pour répondre aux besoins de la justice, le nombre de places en cellule a été augmenté grâce à l’installation de lits superposés.

Vous sentez-vous parfois prisonnier de cette situation de surpopulation carcérale?
Toute la chaîne pénale et le monde politique se mobilisent autour de cette thématique. Je suis très optimiste, car des solutions vont se dégager à moyen terme.

Cette image de la prison suisse confortable, elle est erronée?
Le principal élément de confort pour les personnes détenues, c’est la liberté. Et quand on vous retire ce droit fondamental, le reste importe peu. Ce que nous essayons de faire, c’est de limiter le choc carcéral en rendant le quotidien des personnes détenues acceptable. Les recherches démontrent aussi que ce n’est pas avec une approche punitive que l’on obtient de meilleurs résultats au niveau de la diminution de la récidive, bien au contraire.

Revenons au Bois-Mermet, le Conseil d’Etat vaudois avait planifié sa démolition pour 2024 et finalement, elle est toujours là…
Oui, car elle répond à un besoin.

Quelles sont les contraintes sécuritaires d’une prison au cœur de la ville?
Elles sont les mêmes que pour une autre prison. Etre au cœur de la ville constitue aussi un avantage, celui de réduire la coupure entre les personnes détenues et la vie sociale au travers de l’environnement urbain que l’individu peut ressentir.