THE TWO: “La richesse vient des racines multiples.”

CONCERT - Après plus de 600 concerts depuis 2015, The Two  poursuit sa route avec  « Sadéla », un nouvel album chanté en créole aux influences toujours blues, mais aussi plus métissées. Rencontre avec le duo lausannois qui s’apprête à jouer au Cully Jazz le 19 avril et sera sur la scène du Venoge Festival le 19 août prochain.

Lausanne Cités : «Sadela» est le titre de votre deuxième album studio. Qu’est ce que cela signifie ?

The Two : « Sadela », ça veut tout simplement dire les «deux» en créole mauricien. Et vu qu'on est parti dans cette composition d'un album autour du créole, on a trouvé cette petite pirouette autour du nom de notre duo…

L’album s’annonce comme une invitation au voyage. Où a-t-il été conçu et enregistré ?

Les morceaux ont pour la plupart été écrits à Maurice puis enregistrés à Paris, en collaboration avec David Donatien, qui est musicien multi-instrumentiste, producteur et réalisateur. David est Martiniquais, mais basé en France. C'est le mari de Yaël Naim dont il a produit tous les albums.  Il a aussi travaillé avec Maria Andrade, Bernard Lavilliers, il a gagné un Grammy avec Angélique Kidjo… 

Votre duo s’est élargi alors ?

Effectivement, nous serons le plus souvent quatre sur scène maintenant. Mais notre duo est l’essence même de notre projet. L'idée pour nous, en s’associant avec David,  c'était de trouver quelqu'un qui nous permette un peu de sortir de nos habitudes et de nous aider à appréhender cet univers mauricien, de voir comment on pouvait encore plus le métisser, riche de nos influences diverses. On avait envie d'avoir une troisième paire d'oreilles pour nous guider dans cette recherche.

Le disque est-il un manifeste de la créolité ?

Pour nous, c'est une évidence. Le poète martiniquais Édouard Glissant a beaucoup écrit sur la créolisation du monde, il disait qu’elle était irréversible, que les civilisations s’entrecroisent, avec des pans entiers de culture qui basculent et s’entremêlent. Il évoquait aussi ceux qui s’effraient du métissage et deviennent des extrémistes. Nous, le métissage ne nous effraie pas, au contraire, on le revendique. C’est le sens du monde, ce monde où les gens sont de plus en plus brassés, où les identités sont  de plus en plus mélangées. On est là dedans, notre duo est l’exemple même de cette créolisation, de ce brassage.

C’est un message d’ouverture que vous voulez faire passer ?

Avec la créolisation, on n'est plus dans la racine unique, on est dans le réseau, pour reprendre ce que disait le philosophe Gilles Deleuze. La richesse vient des racines multiples, qui tissent un réseau. La Suisse, par exemple, est un pays d'hybridation incroyable. Pour nous, le choix d'aller dans une direction créole, c'est aussi ça, l'idée de l'hybridation, l'idée de revendiquer que nous sommes brassés par plein de cultures, plein de savoir-faire, plein d’influences.

Yannick, vous avez passé les deux tiers de votre vie à Maurice, et le créole est votre langue maternelle. Thierry, vous êtes né en Suisse, et vous avez beaucoup joué de funk, de soul, de hip-hop. Et vos chemins se sont croisés sur la route du blues…

Le blues, c'est une trace de la créolité. Au départ tout ce qui est créole est un produit de la colonisation. L’esclavage est un produit de la colonisation. Le blues est né de ce déracinement puis de ce nouvel enracinement. Il y a eu un choc culturel, puis un brassage entre les natifs américains, les colons blancs, et les esclaves africains. On dit souvent que le blues est une musique américaine, mais pourtant elle puise toute sa force dans sa créolité. D’ailleurs, toutes les cultures créoles ont leur blues, à l’instar du séga mauricien.

Vous vous êtes rencontrés au festival Blues Rules en 2014, autour du bluesman Eric Bibb, qui était programmé cette année-là…

On se connaissait déjà, mais on n’avait pas vraiment de projet, on jouait ensemble pour le plaisir. On était bénévoles techniciens sur la scène du festival, et on a rencontré Eric Bibb. Il avait sorti quelques années plus tôt cet album incroyable,  «Booker's Guitar ». Tout d'un coup, on s'est dit « Waouh, ça, c'est ce qu'on veut faire. » Vraiment, ce truc très épuré, très acoustique. Cette rencontre a déclenché quelque chose, oui, et cet album  est une référence de nos débuts.

Pensez-vous être toujours sur la route du blues ?

La musique, c'est un chemin. Notre chemin c’est de trouver qui on est, de trouver ce Yannick ou ce Thierry. On avance, on explore, on cherche, on creuse. Le blues sentait quelque chose qu'on aime bien. C'est comme quand tu passes à côté d'un restaurant et que tu te dis « Ça sent bon, on aime bien, allons-y. » Tu rentres là dedans, tu découvres et au fur et à mesure, tu croises d'autres personnes et tout d'un coup, ça résonne à tes oreilles. Tu te dis « Attends, maintenant c’est là que je dois aller. » C’est comme une boussole qui s'affine au fur et à mesure des rencontres. Notre musique est notre chemin, et on espère vous y emmener !

The Two en concert au Cully Jazz Festival le 19 avril à 21h et au Venoge Festival le 19 août