Une oeuvre polémique retirée près de la synagogue de Lausanne

CONTROVERSE • En raison du contexte violent au Proche-Orient et de manifestations pro-palestiniennes à Lausanne, les autorités ont demandé d’enlever une peinture affichée représentant le lieu de culte juif. Explications.

  • L’œuvre de l’artiste Léon Missile avant son retrait demandé par les autorités. En médaillon, le cadre mis à nu par la SGA. PHOTOS FNT

«Le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas (André Malraux). On aimerait croire que la spiritualité résiste, même si la marée de la sauvagerie monte dangereusement.» Léon Missile a commenté ainsi le 15 octobre son collage de rue sur sa page Facebook. Cet artiste anonyme vaudois réalise du street art dans son atelier avant d’aller le coller sans autorisation sur des pancartes publicitaires urbaines.
Désormais sexagénaire, il essaime régulièrement ses œuvres éphémères à travers la ville de Lausanne, le Canton, ou en ville de Bâle, depuis plus de douze ans. Ses modèles reproduits? Outre des montagnes, des bâtiments architecturaux emblématiques la plupart du temps: la Tour Bel-Air, la Cathédrale, l’Hôtel de la Paix… Et plus récemment, la synagogue lausannoise. Mais cette fois-ci, ça ne s’est pas passé sans conséquence.
Coup de pinceau nocturne
L'artiste a collé son œuvre le 13 octobre sur une affiche existante payée par un client au bas de l’avenue Georgette, à quelques mètres de la synagogue, afin que l’on apprécie la perspective et le modèle (voir photo), comme à l’accoutumée. C’était six jours après l’attaque sauvage et sanglante du Hamas contre des kibboutz et un festival musical en Israël. Entre-temps, les bombardements de représailles de Tsahal sur des bâtiments de la ville de Gaza, fortement peuplée, se sont multipliés avec leurs lots de victimes civiles. Tout cela a poussé l’artiste à venir rajouter nuitamment un large coup de pinceau rouge sang sur le bas de son œuvre. Est-ce cette couleur écarlate qui a été jugée ambivalente, voire choquante par certains passants? Toujours est-il que peu de jours après, la SGA est venue non pas recouvrir le dessin avec une autre affiche, qu’elle aurait aussi pu simplement faire arracher, mais a fait enlever le support de l’affiche. Et ce, peu avant une première manifestation de soutien aux Palestiniens, place de la Riponne, le 19 octobre.
«Mon travail hurle: assez!»
Pourquoi avoir rajouté ce bandeau rouge? «Vous usez du terme ambivalent qui me paraît assez juste en la circonstance, explique Léon Missile. Car passé le cap de l’hébétude après la sauvagerie de l’attaque du Hamas, comment ne pas s’alarmer du déluge de feu, qui ratiboise les bâtiments de Gaza. Mon travail pourrait s’apparenter ici à la posture du poisson rouge qui se heurte aux quatre coins de son bocal à la recherche d’une hypothétique issue de secours. Mon travail hurle «ASSEZ».»
Contacté, le service de presse de la société générale d’affichage (SGA) à Zurich a indiqué que leur entreprise avait été alertée par la police de Lausanne: «Elle nous a demandé de retirer l'œuvre illégalement apposée car une manifestation pro-Palestine était apparemment prévue le lendemain.»
Quant au porte-parole de la police municipale, Sébastien Jost, il explique que «plusieurs plaintes de personnes estimant que cette reproduction était inadéquate nous sont parvenues», sans préciser de quel type de personnes il s’agit, ou à quelle communauté elles appartiennent. «En conséquence, et en raison du contexte actuel, cela a été indiqué à la société lésée. Nous l’avons avertie afin qu’elle prenne les mesures jugées nécessaires et lui avons indiqué qu’elle pouvait porter plainte si elle le souhaitait.»
Contexte particulièrement délicat
Face à nos demandes de précision et en raison de la nuance importante fournie par la SGA à Zurich, la police lausannoise nous dirige vers le responsable de l’antenne romande de cette entreprise d’affichage, Olivier Chabanel. «Je ne souhaite pas faire mousser cette affaire et je vous renvoie au communiqué de notre service de presse», nous déclare-t-il, en refusant de préciser quelles étaient les consignes exactes de la police et après avoir lui aussi souligné le contexte délicat au Proche-Orient. Il s’autorise même à nier à demi-mot le statut d’artiste de Léon Missile, pourtant reconnu depuis des années dans le milieu culturel romand.
Il est à souligner que la SGA n’a jamais porté plainte contre l’auteur de ce street art sur ses placards durant toutes ces années, comme nous le confirme Léon Missile: «Je prends généralement soin d’attendre que le message de l’affiche publicitaire soit périmé, ou au service d’une cause largement servie.» De leur côté, la Direction municipale des finances et de la mobilité ainsi que le Service de la mobilité et de l’aménagement des espaces publics affirment ne pas avoir été consultés quant à une décision de demander le retrait de l’affiche incommodante.