Ursula Meier: «Nous avons tous une part de violence en nous»

CINÉMA • Dix ans après le très beau «L’enfant d’en haut», la réalisatrice franco-suisse Ursula Meier revient au cinéma avec une nouvelle proposition intense en émotions. Doté d’un casting époustouflant, «La Ligne» explore des liens familiaux complexes et questionne le foyer de la violence en se tenant loin des archétypes. Rencontre avec une cinéaste qui a toujours beaucoup à dire.

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Lausanne Cités: Une mère, une fille, trois sœurs. Est-ce que «La Ligne» est un film de femmes?

Ursula Meier: Non, au départ, pas du tout. L’envie était de faire un film avec Stéphanie Blanchoud, et de créer ce personnage pour elle. On a commencé à écrire ensemble, et puis elle s’est retirée de l’écriture pour se préparer au rôle. Antoine Jaccoud nous a rejointes pour le scénario, et c’est un homme! Les autres personnages sont venus naturellement, on pensait d’abord à un petit frère, et puis c’est vrai, c’est finalement une petite sœur. Il y a un paysage très féminin qui s’est dessiné, c’est une famille de femmes. Ce qui est amusant, c’est que Stéphanie n’a par ailleurs que des sœurs.

Les maris, les pères, les amis, les compagnons, les ex, sont assez figurants dans cette histoire…

C’est vrai que les personnages féminins sont tous très forts, et les hommes plus en retrait. Mais non, ce ne sont pas des figurants. Ils sont très présents parce qu'évidemment, ces femmes se sont aussi construites en fonction d’eux.

Dans les rôles masculins, on voit Benjamin Biolay, Eric Ruf, Dali Benssalah, et même Thomas Wiesel, surprenant dans un premier rôle dramatique. Vous avez voulu faire un «coup» en le castant?

Non, parce que ma directrice de casting à Paris ne connaissait pas du tout Thomas. Je lui ai envoyé une photo, et elle a tout de suite dit oui. On a beaucoup cherché pour ce personnage, et c’est assez naturellement que j’ai pensé à lui. Il est vraiment bien dans son rôle, discret, attentif, présent…

Le personnage central du film est une jeune femme qui du mal à contenir sa violence. Pensez-vous qu’une part de violence sommeille en chacun de nous?

On a tous une part de violence qu’on essaye de contenir, de détourner, de travailler, de transformer. Et puis bien sûr, le monde autour de nous est aussi violent. Nous, on essaye de faire quelque chose de cette violence. C’est tout le problème de Margaret: elle ne sait pas quoi en faire. Elle essaye de la catalyser par la chanson, mais sa mère, grande musicienne, n’a jamais reconnu cela, elle n’a pas cru en elle. Du coup, Margaret ne peut pas s’autoriser à être artiste. Je crois que cela provoque en elle des dégâts assez énormes.

On imagine souvent la violence domestique comme étant celle des hommes sur les femmes ou des parents sur leurs enfants. Vous proposez un autre schéma…

Cela m’intéressait vraiment de casser les stéréotypes et d’explorer la violence au féminin. Je suis allée rencontrer une association genevoise qui travaille avec des femmes qui peuvent avoir des comportements violents. Les structures de ce type sont très rares, il y a très peu de choses sur le sujet, j'ai même le sentiment que c'est un peu tabou.

Margaret chante, sa mère a une grande carrière de pianiste, sa petite sœur est à la chorale de la paroisse… La musique a une place extrêmement importante dans le film, elle lui donne son tempo…

Oui! Il y a déjà la confrontation de deux univers, le classique de la mère et le côté plus rock alternatif de la fille. Il y a aussi la musique religieuse avec la cadette qui chante dans le chœur de l'église. La musique est un exutoire, un refuge pour ces trois personnages.

La comédienne Stéphanie Blanchoud, qui joue Margaret, est aussi chanteuse justement…

Oui! Il a fallu la convaincre d’accepter d’être aussi chanteuse dans le film, et pas seulement comédienne. Quand elle chante, quand elle met des mots, tout à coup, la violence mue dans une sorte de douceur. J’aime ce contraste.

Le seul qui semble la comprendre un peu, c’est Alex, joué par Benjamin Biolay…

Alex est un personnage très important, c’est lui qui permet au spectateur de mieux comprendre Margaret. C’est le seul qui la soigne, qui la pousse à aller de l’avant, qui sait lui parler. Il y a presque un renversement des rôles entre cet homme et cette femme. Et j’avais aussi très envie d’avoir un vrai chanteur pour ce rôle.

Il y a d’ailleurs une chanson inédite, un duo entre Stéphanie Blanchoud et Benjamin Biolay…

Oui, Benjamin a peaufiné le morceau en studio, nous avons tourné quelques images pendant l’enregistrement, et il vient de sortir. Le morceau est magnifique, c’est un joli cadeau et une belle façon de promouvoir le film aussi!

«La Ligne», d’Ursula Meier, au cinéma depuis le 11 janvier.