Il y a 70 ans, Lausanne accueillait la Coupe du monde de football

SPORT • Le 16 juin 1954, Lausanne et la Suisse accueillaient la cérémonie d’ouverture et le premier match de la Coupe du monde de football. Le Vaudois Dominique Prudent, qui y consacre un livre à paraître en mai, revient sur un événement à la portée considérable.

«Lausanne a été choisie pour des raisons d’équilibre régional»

Lausanne Cités: Comment Lausanne s’est-elle retrouvée à accueillir la cérémonie et le match d'ouverture de la Coupe du monde de 1954?
Dominique Prudent:  Berne devant accueillir la finale, le comité d'organisation a expliqué à la FIFA, qui était pourtant très réticente, que pour des raisons d'équilibre dans le pays, il fallait que la cérémonie d'ouverture ait lieu en Suisse romande… Ce fut probablement une erreur car les deux tiers du stade étaient vides...

En plus, Lausanne n’était pas prête car elle ne disposait pas d'un stade aux capacités suffisantes…
Eh oui, il lui a fallu construire un nouveau stade sur l’ancien terrain de la Pontaise. Les travaux ont commencé dès 1950 et cela a donné un stade olympique magnifique qui offrait une vue imprenable sur les Alpes et à l'époque, avait reçu énormément d'éloges pour sa modernité et ses 50 000 places. Au total, ce stade accueillera cinq matchs durant l'ensemble de la Coupe du monde.

Lausanne a-t-elle eu des retombées positives de tout cela?
Oui bien sûr, puisqu’en plus d'un stade flambant neuf, la Coupe du monde lui a offert une visibilité et permis de créer un véritable élan autour du sport, comme partout où on organise des manifestations sportives. En revanche, cela n’a pas été suffisant pour lui permettre de décrocher les Jeux olympiques de 1960 qu’elle briguait, au profit de Rome…

Pourquoi la Suisse a-t-elle été choisie pour organiser cette Coupe du monde?
A l’époque, nous sommes en 1949, le monde sortait de la Seconde Guerre mondiale et on entrait dans la Guerre froide. Le choix d’un pays neutre s’est rapidement imposé. Sous le lobbying du Bâlois Ernst Thommen, qui dirigeait à l’époque la société de paris «Sport Toto» et l’association suisse de football, la Suisse a finalement été retenue.

La Suisse a ensuite mis le paquet pour réussir cette coupe…
En effet, il a fallu construire de nouveaux stades comme à Lausanne, et en moderniser d’autres. Le côté publicitaire mais aussi l'accueil des délégations étrangères à qui l’on a par exemple offert des montres avait été spécialement soigné dans l'espoir d'avoir plus tard des retombées touristiques. Et puis, l’ASFA, l’association suisse de football et d’athlétisme, l’ancêtre de l’ASF, ne voulait pas que cet événement soit déficitaire, un pari réussi puisque cette Coupe du monde a généré d’importants profits.

Mieux, cette compétition a été une véritable réussite sportive…
Tout à fait, puisqu’on y a enregistré une moyenne de cinq buts pour chaque match, ce qui est une performance dont on rêverait aujourd'hui. Tout cela sans compter une finale de rêve avec une surprise unique dans le monde du football, la victoire de l’Allemagne de l’Ouest sur la Hongrie que l’on a même appelée «le miracle de Berne». Quant à l’équipe de Suisse, elle n’a pas démérité puisqu’elle a égalé son record de 1930 et de 1938 en se hissant jusqu’aux quarts de finale de la compétition…

Peut-on dire que cette Coupe du monde, avec cette organisation très poussée et l’importance des questions financières, préfigurait celles qui allaient venir?
Pas forcément, car depuis ses débuts, la Coupe du monde a été organisée plus pour des considérations financières que sportives. La grande nouveauté de l’édition 1954 est que pour la première fois, certaines rencontres ont été retransmises à la télévision en direct à travers le monde…

Pourtant les organisateurs n’étaient pas très favorables à la retransmission en direct…
Ils craignaient que cela dissuade les gens d’aller dans les stades, car à l’époque, la vente de billets était la première source de revenus. C’était, à mon avis une crainte infondée, car  très peu de gens avaient un téléviseur.

La Suisse pourrait-elle accueillir aujourd’hui un événement de cette envergure?
Je ne pense pas, car l’heure est à l’organisation de manifestations grandioses et luxueuses et la Suisse actuelle ne s’inscrit pas dans cette tendance. Elle pourrait accueillir néanmoins des matchs dans le cadre de Coupes du monde organisées entre plusieurs pays, comme ce sera par exemple le cas en 2026 au Mexique, au Canada et aux Etats-Unis.

Un livre pour une aventure historique…

Les ouvrages consacrés à l’histoire sportive de la Suisse sont rares. Ce livre a le mérite de plonger dans la seule décennie qui a vu la Suisse accueillir la plus prestigieuse des compétitions de football: la Coupe du monde. Seize pays issus de 3 continents différents se sont disputé le trophée dans six villes de Suisse. Cette édition est la première à être retransmise à la télévision, avec notamment le quart de finale mémorable entre la Nati et l’Autriche (5-7) à Lausanne. Derrière cette manifestation, se cache une organisation méticuleuse entreprise par d’illustres personnages du milieu du XXe siècle à l’origine de «l’Association Championnat du monde de football 1954 en Suisse» fondée en 1949 dans le but de gérer au mieux l’évènement, tout en offrant au pays une visibilité internationale. C’est le départ officiel d’une aventure sportive historique pour la Suisse de jadis.
«La Suisse et sa Coupe du monde de football 1954: une édition record», Dominique Prudent, mai 2024. Ouvrage disponible en précommande par email: livre@dominiqueprudent.ch