A Lausanne, un raciste qui a pignon sur rue

POLÉMIQUE • Si la Ville a sans hésiter fait apposer à la rue Louis-Agassiz un panneau contextualisant le passé raciste du glaciologue, elle botte en touche pour adopter une démarche similaire à l’avenue et au stade Pierre-de-Coubertin, dont les propos racistes et misogynes sont pourtant notoires.

  • L’avenue Agassiz avec la plaque de contextualisation qui rappelle son parcours et ses idées. En médaillon, le stade Pierre-de-Coubertin. PHOTOS TILLE

Faut-il accompagner l’avenue Pierre-de-Coubertin et le stade éponyme d’une plaque de contextualisation mettant en perspective les propos racistes, misogynes et ouvertement nauséabonds de l’illustre baron? Qu’on en juge: «Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance.» Mais aussi: «Il y a deux races distinctes: celles au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l'air vaincu.» Vous en voulez encore? «Le rôle de la femme reste ce qu’il a toujours été: elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable».
Les idées de son temps
Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’homme qui a tenu ses propos est à Lausanne, intouchable. Mieux encore, il y a quelques semaines, les autorités de la Ville recevaient en grande pompe et avec les honneurs, l’animateur français Stéphane Bern, venu sur les rives du Léman tourner un documentaire en son honneur. «Pierre de Coubertin avait les idées de son temps et tenait des propos racistes et sexistes, observe l’universitaire Jean-Loup Chappelet, spécialiste du mouvement olympique. Les polémiques autour de sa personne datent déjà de son vivant et elles continuent encore aujourd'hui, évidemment exacerbées en cette année où Paris organise les Jeux olympiques. L’homme a en tout cas été suffisamment apprécié pour se voir décerner en 1937 la bourgeoisie d'honneur de Lausanne».
En France pourtant, le baron n’est plus tout à fait en odeur de sainteté. Un article paru au début du mois de mars dans le journal Le Monde relevait ainsi à quel point il était «le grand absent des JO de Paris» avec des hommages «réduits à peau de chagrin en cette année olympique». Et pour cause: comment en 2024, mettre en avant un homme qui estimait «les olympiades femelles, inintéressantes, inesthétiques et incorrectes», sauf à un titre: «Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs.»
Contactée, la Municipalité botte en touche. Le syndic Grégoire Junod, et la municipale en charge des sports Emilie Moechsler pourtant d’ordinaire très offensive sur les questions de sexisme et de racisme, se contentent de répondre à l’unisson avec un laconique: «La Municipalité n’a pas encore pris position sur cette question».
Il y a quelques années pourtant, la Municipalité n’avait pas hésité à faire apposer à l’avenue Louis-Agassiz un panneau complémentaire explicatif mentionnant entre autres, «l’aspect sombre» du célèbre scientifique, ainsi que ses «idées racistes».
«Cohérence»
Une démarche qu’elle n’est visiblement pas pressée d’adopter pour le père des Jeux olympiques modernes. «Ce serait pourtant assez cohérent d’avoir également une plaque explicative pour le baron de Coubertin, observe le conseiller communal Ilias Panchard qui s’est beaucoup impliqué sur ces questions. Cela montrerait que le sport n’a de loin pas toujours été du bon côté de l’histoire».

La position du CIO

Le CIO, contacté par le biais de son service de presse, a répondu à Lausanne Cités en partageant la prise de position de l'Association familiale Pierre de Coubertin récemment publiée dans le journal français Le Figaro. En voici quelques extraits:
«Les lettres et publications de Coubertin, qui représentent 
16 000 pages d’archives, sont pleines d’affirmations contradictoires(…) Ses écrits, dans leur profusion, permettent de lui faire dire tout et son contraire, de le faire passer, selon le but et les époques, pour un réactionnaire absolu aussi bien que pour un progressiste acharné»
«Il a aussi écrit, au sujet de la condition féminine, qu’il était nécessaire "que les lois la protègent, qu’on la mette en mesure de résister, et […] d’échapper à la tyrannie maritale, rien de plus légitime…"»   
«Son amitié avec l’Allemand Carl Diem - dont l’épouse était juive - l’a convaincu de ne pas s’associer aux partisans du boycott des Jeux de Berlin.(..)Cela ne l’a pas empêché de refuser obstinément de se rendre aux Jeux olympiques de 1936».
«De même, il s’est dit "fervent colonialiste", tout en soulignant que la domination européenne sur l’Afrique ne pourrait plus se justifier longtemps, et que les colonisés devraient désormais se voir "traités en égaux, en hommes libres, en citoyens du monde"».