Un migrant à la place Bel-Air

Chaque semaine, Lausanne Cités en collaboration avec l’équipe du livre «Une journée à Lausanne» et les éditions Favre vous proposent deux photographies d’un même lieu à Lausanne, hier et aujourd’hui, accompagnées d’une anecdote y relative. Aujourd’hui, la place Bel-Air.

  • GEOFFREY COTTENCEAU

    GEOFFREY COTTENCEAU

Fraîchement débarquée à Lausanne, une famille de migrants venue de l’est traverse le Grand-Pont. Elle se rend dans son logement, place Bel-Air numéro 8. Le fils a 6 ans, le XXe siècle en a deux. Poussée par la pauvreté de leur région, elle espère trouver sous nos latitudes une vie moins dure. Armée de courage, elle tente sa chance, là où elle n’est pas attendue. Le père a fini par trouver un emploi de portier. La scolarisation de l’enfant s’annonce difficile. Sa langue, aux accents gutturaux, parfaitement incompréhensible, est sujette aux moqueries. L’assimilation s’annonce difficile.

Bien plus tard, un jour d’été, notre migrant, devenu chef de service à la Poste centrale, reçoit un jeune gymnasien qui aimerait travailler pendant ses vacances. Bienvenu, le «petit jeune» se met au travail avec ardeur et détermination. Le soir, le chef de service l’interroge: «Mon petit Jean-Pascal, qu’est-il écrit en grandes lettres noires sur ce panneau jaune?». Surpris le «petit Jean-Pascal» répond, un peu troublé «c’est écrit PTT». «En effet, mais que signifient ces trois lettres?» «Cela signifie, Poste, Télégramme, Téléphone.» «C’est exact, le matin cela signifie bien Poste, Télégramme, Téléphone, mais le soir par contre cela signifie: Pas Trop Travailler!» Quelques années plus tard, notre migrant meurt et le «petit Jean-Pascal» devient Président de la Confédération. Un Président Très Travailleur.

Daniel Rupp, chimiste à la retraite, 2020