Les policiers lausannois ne sourient 
plus du tout quand ils sont filmés

SÉCURITÉ • En Suisse, de plus en plus de policiers demandent qu’on ne puisse plus les filmer lors de leurs interventions effectuées sur la voie publique. A Lausanne, cette demande, pourtant soutenue par certains, est loin de faire l’unanimité, la Municipalité préférant miser sur les bodycams, ces mini-caméras piétons portées par les policiers eux-mêmes.

  • Certains policiers estiment que les vidéos de leurs interventions se focalisent sur les aspects négatifs de leur travail. PHOTO VERISSIMO

«La police ne craint pas les regards extérieurs»
Pierre-Antoine Hildbrand, municipal 
en charge de la police

En France, c’est quasiment devenu un sport national, tant les relations entre la police et la population virent à l’exécrable. En Suisse, sans atteindre les mêmes proportions, la tendance est croissante et on retrouve, sur les réseaux sociaux, de plus en plus de vidéos, postées par des tiers et mettant en scène des policiers lors de leurs interventions sur la voie publique. 
La démarche, controversée, suscite une levée de boucliers de la part de nombreux représentants des forces de l’ordre. A Bâle, leur association a ainsi exigé que l’on légifère pour interdire ces prises de vue, donnant selon eux une vision «dénaturée» de leur travail.

A Lausanne, le député et conseiller communal UDC Nicola Di Giulio appelle de ses vœux une telle interdiction: «Je suis tout à fait favorable à une totale interdiction de filmer les interventions de police par des tiers. Ces vidéos sont souvent réalisées par des individus hostiles aux forces de l’ordre et qui ne montrent pas la globalité de l’intervention parce que les «cinéastes» sont arrivés en cours d’intervention et n’en ont pas vu le début ou la cause, ou parce qu’ils focalisent leurs images sur les aspects négatifs du travail des policiers».

Evidemment, à l’autre bout de l’échiquier politique, on ne partage pas ce point de vue. «Cette proposition de la police bâloise est au mieux maladroite, au pire insultante au vu du contexte, lance et tance le conseiller communal socialiste Mountazar Jaffar. En France, c’est bien grâce à des images amatrices que nous avons pu prendre connaissance d’une violence policière poussée à son paroxysme, et que les policiers concernés pourront, nous l’espérons, être jugés. Ces images permettent également à la justice d’effectuer son travail dans les meilleures conditions, étant donné que très souvent, la voix des plaignants se heurte à celle de la police, qui parle comme un seul homme.»

La Municipalité n’en veut pas

Qu’en pense Pierre-Antoine Hildbrand, principal concerné en tant que municipal lausannois en charge de la police? «S’agissant des demandes d’interdiction de filmer, je suis contre. Le fait de devoir rendre des comptes et la transparence sont constitutifs de la police, dans un Etat de droit. La police ne craint pas les regards extérieurs et la confiance du public constitue une de ses principales forces. Les images ne doivent toutefois pas être manipulées ou sorties du contexte de l’action policière.» Le débat reste pourtant entier et polarisé entre une police qui bien qu’assermentée, est donc accusée par un camp de parler «comme un seul homme» et de l’autre des cinéastes «amateurs» et «forcément malveillants» selon l’autre camp, qui les accuse de vouloir salir l’image de l’institution.

La solution s’appelle peut-être bodycams, ces petites caméras piétons portées par les policiers eux-mêmes, et dont la police bernoise par exemple, vient de généraliser l’usage. En 2019 et 2020, un essai-pilote de sept mois a été mené au sein de la Gendarmerie vaudoise et de la Police municipale de Lausanne, à l’instigation de Pierre-Antoine Hildbrand. Avec des résultats probants: non seulement le déploiement des bodycams «n’a pas généré de dégradation des situations de travail», mais selon un rapport publié par l’université de Lausanne «les retours d’expériences et les résultats indiquent que la désescalade et la prévention des violences à l’encontre des policiers, ainsi que la récolte de moyens de preuve constituent deux objectifs atteints par la technologie bodycam».

Un futur réglement qui devra être débattu

De son côté, le syndic Grégoire Junod, qui fut lui-même responsable de la police lausannoise il y a de nombreuses années, ajoute:«Il ne sert à rien d’interdire quoi que ce soit, cela n’empêchera pas les vidéos de circuler et on ne résoudra aucun problème à vouloir se cacher. Je suis très surpris que la généralisation des bodycams, ces caméras que les policiers peuvent porter durant leur intervention, ne s’invite pas dans le débat. Je crois pourtant que ce serait un très bon outil pour faire baisser les tensions et aussi en cas de besoin, apporter des éléments de preuve.»

Pour rappel, la police de Lausanne dispose actuellement de 24 bodycams, qui sont utilisées par le personnel uniformé de Police-secours et de la police de proximité. La police cantonale vaudoise dispose également de 34 caméras-piétons portées par des gendarmes. L’enclenchement est autorisé uniquement en cas de suspicion d’infraction ou d’infraction au Code pénal.  Le déploiement de ces caméras, souhaité par le Conseil cantonal de sécurité, sera échelonné dans les années à venir. Leur utilisation sera encadrée par une base légale en cours de rédaction, mais qui devra encore être validée par le Conseil d’Etat avant un passage devant le Grand Conseil. A Lausanne, le conseiller communal socialiste Yusuf Kulmiye auteur en novembre dernier, d’un postulat demandant à la Municipalité d’introduire les bodycams pour sa police, attend de son côté que le législatif communal puisse débattre d’un futur réglement d’application lorsque la loi cantonale sera adoptée.

 

Filmer la police, ce que dit la loi

Comme souvent la loi est sujette à interprétation. En référence à l’article 28 du Code civil suisse, filmer quelqu’un à son insu (ce qui est aussi bien le cas des forces de police que des personnes qui font l’objet de leurs interventions) est une atteinte à la personnalité et donc illicite. Seule circonstance qui peut justifier cette action: un intérêt prépondérant public ou privé. Outre le fait qu’il revient aux tribunaux d’interpréter la notion d’intérêt public ou privé, une distinction doit être opérée entre le fait de filmer les forces de police à des fins de preuve et celui de diffuser les vidéos obtenues dans les réseaux sociaux.